Cette semaine je suis tombé sur un article du figaro bourse qui a déchainé les passions (majoritairement négatives) dans les commentaires et sur certains forums intitulé « 2017 une année record pour les dividendes dans le monde« .
J’aimerais y reprendre les principaux points présentés et y ajouter quelques éléments car j’y ai vu beaucoup d’idées préconçues sur la bourse et le fonctionnement des entreprises dans les commentaires.
Table of Contents
2017 : Un montant record de distribution de dividendes
Dans cet article, il est dit qu’en 2017 les grandes entreprises de la planète ont distribué un total cumulé de 1208 milliards de dividendes à leurs actionnaires, un total en nette hausse par rapport à l’an dernier.
L’Europe représente a elle seule 40% du montant des dividendes mondiaux distribués, et les 3/4 des sociétés françaises et européennes ont fait le choix de maintenir ou d’augmenter leurs dividendes cette année.
Du point de vue de l’investisseur, c’est bien sûr une bonne nouvelle (et un signal positif sur la santé de l’économie européenne également), mais j’ai pu voir un peu partout que ces chiffres suscitaient tout sauf de l’optimisme.
Quel est le problème?
L’idée générale qui se dégage de la tornade de négativité née autour de cet article est que les grandes entreprises seraient toutes pleines aux as, mauvaises par nature, que leur objectif premier serait avant tout de « siphonner » la plus large part possible des richesses environnantes dans l’unique but de les redistribuer ensuite à leurs actionnaires sous forme de juteux dividendes, le tout en exploitant au maximum leurs salariés et en mettant autant de gens qu’ils le peuvent à la rue pour pouvoir préserver les distributions faites à leurs actionnaires (qui dans cette version des faits, sont tous de méchants riches capitalistes corrompus).
Bon.
On ne va pas se mentir, vous savons tous que le bénéfice d’une entreprise provient avant tout de l’écart entre les salaires versés aux employés et les recettes encaissées, donc le corollaire de cela est logiquement qu’un employé est toujours payé bien moins que ce qu’il rapporte réellement à l’entreprise ce qui peut parfois être frustrant (mais ce sont les règles).
Les choses étant ce qu’elles sont, nous avons probablement tous été témoins un jour ou l’autre d’employeurs abusifs que ce soit au niveau de la faiblesse des salaires versés ou de licenciements abusifs, aussi lorsque les choses ne se passent pas très bien au niveau emploi dans le pays nous sommes vite tentés (surtout nous autres français) de blâmer tout le monde : macron, les entreprises, le capitalisme, les riches, la mondialisation, notre tante Edna, bref, on râle.
Je voudrais donc rétablir l’équilibre dans la force en apportant dans cet article quelques contre arguments aux « haters » qui pensent que les dividendes versés par les entreprises sont la racine du mal.
Versement de dividendes des entreprises : quelques réalités
1/ Dans une économie en bonne santé, le montant des dividendes distribués augmente naturellement à long terme
L’argent des dividendes n’est pas « volé » aux salariés. Les entreprises qui marchent bien réalisent juste logiquement des profits croissants année après année (sans quoi elles mettraient la clé sous la porte), et un pourcentage nominal à peu prêt fixe de ces profits est distribué aux actionnaires (donc mécaniquement si les bénéfices augmentent, le pourcentage reversé aux actionnaire reste grosso modo fixe en termes de pourcentage mais augmente en valeur nominale).
Voici un graphique des dividendes distribués sur les actions américaines depuis 1871 :
Bref logiquement dans une économie « normale », on peut sortir un article comme celui du Figaro pratiquement tous les ans (« les dividendes mondiaux ont augmenté », revient un peu à dire « le ciel est bleu » en finance).
2/ Les entreprises françaises ne roulent pas sur l’or (contrairement à ce que l’article laisse suggérer)
La plupart des commentaires négatifs s’indignaient (ce qui est compréhensible) de l’écart relatif entre la bonne santé des paiements de dividendes aux actionnaires et la mauvaise santé relative de l’économie réelle (la questions sous jacente étant en gros : pourquoi les sociétés françaises n’embauchent pas si elles peuvent payer de si gros dividendes?), sauf que l’article parle des dividendes mondiaux, pas de la situation spécifique des entreprises françaises.
La situation française la voici : les actions du CAC 40 ont distribué cette année pour 55 milliards de dividendes environ selon le site « les échos« , ce qui peut sembler colossal si on sort le chiffre de nul part et qu’on le donne sans aucun référentiel ou contexte (comme le font certains), sauf que si nous remontons à il y a 10 ans en 2007, le montant total des distributions des entreprises françaises était de… 57 milliards, soit plus qu’aujourd’hui. Au cours des dernières année la moyenne était plutôt autour des 43 milliards, ce qui était très, très en dessous d’il y a 10 ans.
Si les distributions de dividendes mondiales établissent de nouveaux records, les distributions de dividendes moyennes des entreprises françaises sont nettement à la traine et sont toujours en dessous de leur niveau d’il y a 10 ans.
Les entreprises françaises ne sont donc à priori pas des entités qui font secrètement des tonnes de profits pour les redistribuer aux actionnaires.
La vérité c’est que tout le monde a pris du plomb dans l’aile en 2008 et depuis nous avons passé la majorité du temps à nous en remettre péniblement : beaucoup n’ont toujours pas retrouvé leur niveau de cashflow d’il y a 10 ans (et si certains l’ont retrouvé ils ne l’ont à priori que modestement redistribué à leurs actionnaires).
(N.B : on me demande parfois pourquoi je m’embête a choisir des actions une par une plutôt qu’investir dans un indice, c’est une des raisons : les sociétés de bonne qualité ont été capable de survivre et de se développer entre 2007 et aujourd’hui, celles moins solides ont été plus durablement atteintes).
3/ Les actions ne sont pas réservées aux riches
Choquant, je sais. Quand je lis les commentaires négatifs anti bourse et anti dividendes, j’ai toujours l’impression que les actions sont une sorte d’abstraction réservée uniquement à la haute aristocratie (ou a des cercles d’initiés reptilio-illuminatis).
Les marchés sont ouverts au public. Tout individu majeur et vacciné peut ouvrir un compte et acheter des actions. Tout le monde peut avoir sa part des 1200 milliards distribués chaque année, ils ne sont pas réservés à une certaine caste. Et ce n’est pas comme si le ticket d’entrée était très élevé : aujourd’hui on peut ouvrir un compte avec 100 euros.
Le contre argument : « oui mais les riches ont plus d’argent, ils reçoivent donc beaucoup de dividendes, et les pauvres n’ont pas d’argent pour acheter des titres ».
Devinez quoi, si vos grands parents avaient économisé 50 francs tous les mois pour les placer en actions, vous feriez parti des riches aujourd’hui.
Vous ne me croyez pas? Lisez ceci.
4/ Beaucoup de sociétés avec des politiques de dividendes avantageuses en font profiter leurs salariés
Un autre argument que je vois souvent est « les dividendes sont distribués au détriment des salaires », « les salaires n’augmentent pas pendant que les actionnaires se gavent! ».
Ah. Touché. Mon salaire actuel est probablement plus faible que celui de mes parents en termes de pouvoir d’achat et a qualification égale. Il n’y a pas de pression haussière sur les salaires c’est vrai. Mais ce n’est pas lié aux distributions de dividendes. Vous n’aurez pas un salaire plus haut en allant travailler dans une société qui ne paie pas de dividendes. En fait c’est même plutôt l’inverse.
J’ai pu échanger des mails par l’intermédiaire de ce site avec des employés de deux des plus grands payeurs de dividendes français actuels en termes de volume : Total et Sanofi (je les salue si ils me lisent).
Et je peux vous dire que les distributions de stock options (ou les plans de souscription à prix préférentiel) dont leur ont fait profiter ces grands groupes leur ont fait gagner des sommes d’argent absolument massives à long terme.
La majorité des entreprises françaises ayant des politiques de dividendes avantageuses offrent des options pour en faire profiter leur salariés.
5/ Retraites et dividendes
Autre argument que j’ai vu dans les commentaires « ils coupent les retraites, et ils montent les dividendes, c’est un scandale! ».
Ce sont deux choses différentes : les retraites relèvent de l’état, les dividendes de la productivité des entreprises.
Autre chose que l’on a trop tendance à oublier : le système des retraites français est une anomalie, pas la norme. Jusqu’à encore très récemment dans l’histoire, le concept de retraite n’existait pas et les gens travaillaient jusqu’à leur mort. C’est toujours vrai aujourd’hui pour une très large part de la population mondiale (celle qui n’a pas eu le privilège d’être née en France). L’autre part de la population (celle qui a les moyens, je pense notamment à nos amis américains) crée sa retraite essentiellement grâce à son épargne et ses placements, il n’y a personne pour leur verser une rente mensuelle qui viendra couvrir toute leurs dépenses.
De plus ce n’est pas comme si la mort lente des retraites françaises était un événement particulièrement inattendu : mes parents me répètent depuis que j’ai 5 ans que ce système va un jour s’effondrer, et il suffit de prendre 2 minutes pour regarder les mathématiques sur lesquelles il est basé pour comprendre qu’on a plutôt intérêt à se débrouiller tout seul si on ne veut pas passer nos vieux jours à manger des patates bouillies dans un 8 mètres carré.
Bref, d’un coté les retraites sont en péril, c’est un fait. D’un autre, les dividendes montent (c’est un autre fait).
Il y a peut être quelque à faire de ce coté là du coup ne pensez-vous pas?
6/ Licenciements et dividendes
Un autre argument anti dividendes est que les entreprises licencient pour pouvoir continuer de payer les dividendes de leurs actionnaires.
Rectification, les entreprises licencient si elles peuvent conserver le même niveau de productivité pour moins cher. Une entreprise ne licenciera jamais un employé qui lui fait gagner de l’argent ou une branche très rentable de son activité. Elles licencient simplement parce qu’elles n’ont pas de raison de payer des gens qui ne créent pas de valeur ajoutée. Et les consommateurs font la même chose.
Quand Amazon est apparu et a proposé de livrer nos commandes chez nous pour 10% à 20% moins cher, nous avons licencié nos libraires : nous avons cessé de les payer parce qu’il y avait une option plus efficace et moins chère. Lorsque la photographie numérique est apparue, nous avons licencié les employés de Kodak : nous avons cessé d’acheter de l’argentique et des boites de pellicule photo. Les business vivent et meurent c’est dans leur nature, et avec eux, les emplois.
C’est ce que l’économiste Joseph Schumpeter appelait il y a un siècle déjà la destruction créatrice, ce n’est donc pas un phénomène particulièrement nouveau : la plupart des grandes vagues de licenciement se font généralement dans des secteurs vieillissants ou mourants (comme l’industrie ou l’automobile par exemple), et plus rarement dans les secteurs en plein boom comme la robotique et les biotechnologies.
Nous vivons dans un monde où les choses s’accélèrent et la stabilité de l’emploi n’est plus ce qu’elle pouvait être du temps de nos parents c’est vrai, mais c’est avant tout parce que la nature du terrain sur lequel nous évoluons a changé (automatisation, robotisation, hausse de la productivité nécessitant moins de main d’oeuvre), pas parce que les entreprises sont méchantes ou parce qu’elle paient des dividendes. Et pour compenser cela de nouveaux secteurs apparaissent.
Pour vous donner mon propre exemple, je travaille actuellement dans une « Fintech » (une société mélangeant technologie et finance). C’est un secteur qui n’existait pas il y a quelques années. En revanche, il y a quelques années l’emploi dans les banques était très dynamique : ce n’est plus le cas aujourd’hui (on en revient à cette idée de destruction créatrice).
Conclusion
Lorsque nous rencontrons des problèmes, il est souvent tentant de blâmer les circonstances extérieures : les entreprises, l’économie, les politiques. Mais il est important de réaliser que souvent la réalité est plus complexe que ce que nous pouvons le concevoir.
Plus important encore, il est important de réaliser qu’il est vain (et émotionnellement drainant) de passer des heures à s’indigner sur des choses qui sont totalement en dehors de notre contrôle : les politiques justes ou injustes menées par certaines entreprises, les réformes fiscales ou sociales auxquelles nous ne pouvons rien, les comportements irrationnels de certains dirigeants.
Une meilleure question à se poser est : les choses étant ce qu’elles sont, comment puis-je me positionner pour améliorer ma situation et celle de mon entourage?
Yoann says
Bien dit,
J’approuve tout ce que tu dis. D’ailleurs c’est une des raisons pour lesquels je parle de mes investissements boursiers à peu de gens. En France plus qu’ailleurs la bourse est vu comme une sorte de casino délétère ou les riches jouent avec l’argent des pauvres petits salariés. Et comme tu l’as si bien dis : il est vain de s’indigner pour la situation économique et sociétale actuelle, qui est ce qu’elle .Je vois que les gens qui ne font que se plaindre ne font rien de concret pour améliorer leurs situation et préferent s’enfermer dans une spirale négative plutôt que de se bouger pour améliorer leurs sort. Je me dis toujours, même si ma situation est défavorable : comment puis-je tirer partis des cartes en ma possession pour petit à petit arriver vers mes objectifs.
Au plaisir,
Yoann
Pierre says
Bonjour Yoann,
C’est vrai que cette attitude est malheureusement très locale : je n’ai jamais vu d’article similaire s’indignant des montants de dividendes versés aux Etats-Unis (pourtant je lis pas mal de presse anglaise).
Là bas ils considèreraient plutôt au contraire que c’est une bonne nouvelle sur la santé de l’économie et un signal positif pour leurs fonds de retraite, mais ce n’est pas la même culture, le % de détention d’actions moyen chez les particuliers y est beaucoup plus élevé qu’en Europe ;
Cdt
Yoann says
Même chose au Japon, ma compagne est Japonaise et lorsqu’elle vivait la-bas elle détenait un portefeuille d’actions ainsi que plusieurs autres personnes de sont entourages ce qui me fait penser que là-bas aussi la bourse s’intègre à la vie des gens et n’est pas aussi marginalisé qu’en France . De plus, apparement certaines entreprises, en plus des dividendes versés régulièrement aux actionnaires, envoient également des coupons de réductions pour certains produits via la poste ou bien même des tickets Disneyland … Sympa 😉
Yoann
Amandine says
Très bon article. Il est vrai que beaucoup de gens dépensent une énergie folle à raler pour des faits contre lesquels ils ne peuvent rien au lieu d’essayer d’améliorer leur situation avec les éléments positifs dont ils disposent.
Le sage dirait « Il vaut mieux allumer une bougie que maudire l’obscurité ». Question d’état d’esprit et de point de vue. Certains verront toujours le verre à moitié vide (voire même complètement vide).
Pierre says
Bonjour Amandine,
C’est tout à fait cela pour la métaphore de la bougie.
Et à long terme on sait tous quelle attitude permet d’évoluer et laquelle conduit à devenir aigri…
Cdt
Olivier de epargnersanssepriver.com says
Bonjour Pierre,
Excellent article! Tu réponds bien point par point à tous les ignares au niveau financier et tous les jaloux quant à l’argent des autres. Le rapport des Français vis à vis de l’argent est une longue histoire. Impossible dans ce pays de parler de tes revenus ou tes dépenses sans susciter de commentaires envieux, jaloux ou moqueurs! Je pense que la plus part des gens confondent les actionnaires et les grands patrons. Comme les grands et les petits patrons. Ce qui choque le Français c’est de gagner beaucoup d’argent sans transpirer. Un pays de paysans gagnant leur vie à la sueur de leur front et haïssant les plus riches ( qui faisait tout pour être hais!) Pleurer sur son sort et jalouser le voisin est un sport national mais prendre sa vie en main ça n’est pas dans notre culture! Heureusement que tout le monde n’est pas comme ça! Et qu’il y a des gens comme toi pour expliquer encore et encore que non l’argent n’est pas le grand satan et que la finance n’est pas un ennemi! A bientôt 🙂
Pierre says
Bonjour Olivier,
Oui c’est vrai que culturellement nous avons tendance à avoir un rapport un peu particulier à tout cela, mais je sais aussi que beaucoup de gens prompt a juger négativement ce genre de choses ont des connaissances pour le moins limitées en finance et en économie, ce qui leur donne une vision biaisée de la manière dont fonctionne vraiment les choses, du coup je blâme un peu notre système éducatif pour ne pas donner aux gens les bases dont ils auraient besoin pour mieux comprendre tout cela (j’essaie de corriger cela à mon échelle à travers ce blog).
Et pour ce qui est de « l’argent facile » avec l’investissement et la finance : tous ceux qui s’y sont réellement frottés savent que l’argent facile n’existe pas. La bourse (et l’investissement en général) sont des domaines extrêmement compétitifs dans lesquels il n’y a certes pas de travail physique, mais qui demandent un gros travail intellectuel, et surtout un gros travail de discipline émotionnelle. Pour preuve, la grosse majorité des particuliers qui s’essaient à la bourse perdent de l’argent ;
Cdt
jean-Pierre ROUGIER says
La bourse n’a rien avoir avec l’investissement, c’est une forme de pari sur une entreprise, qui cautionne en même temps la mise à sac de la planète pour offrir du dividende à l’actionnaire.
https://lejustenecessaire.wordpress.com/blog/
Reste à savoir si les générations futures auront de quoi jouer.