Charlie Munger (l’associé de longue date de Warren Buffett au sein de Berkshire Hathaway), vient récemment de prendre un pari de 67 millions de dollars qui fait couler beaucoup d’encre.
Il faut savoir qu’il est assez rare que Munger passe de grosses opérations, et quand il le fait, il faut toujours supposer qu’il y a une forte conviction derrière, car son portefeuille boursier ne contient que 5 actions, pour un montant estimé de 225 millions!
Récemment, Munger a fait un très gros pari sur un géant de l’e-commerce que vous connaissez peut être. Je vous propose donc de voir un peu plus en détails pourquoi Munger voit aujourd’hui un fort potentiel sur cet investissement (à travers le prisme de ses méthodes habituelles).
Table des matières
Le gros pari de Charlie Munger sur Alibaba
Munger vient de renforcer ses positions sur ce qui est désormais la troisième plus grosse ligne de son portefeuille boursier (qui en contient seulement 5) : Alibaba.
Si vous ne connaissez pas le groupe, Alibaba est LE géant de l’e-commerce chinois, et basiquement la plus grosse société d’e-commerce au monde.
Ce nom résonne peut être un peu moins en Europe qu’ailleurs, car les activités de la société sont basées principalement en Asie, mais pensez ici à un mélange d’Amazon, Microsoft, Google et Paypal.
Voici a quoi ressemblent les parts de marché du groupe au niveau de l’e-commerce mondial :
Comme vous pouvez le voir, Alibaba est le leader mondial du secteur aujourd’hui, et capitalise sur la croissance forte du marché chinois en s’étant positionné sur la majorité des activités qui rapportent sur le web dans le pays (au point comme nous allons le voir dans la suite, que le groupe a écopé d’amendes pour violation de lois anti monopoles).
Malgré un positionnement fort et des revenus en croissance explosive, le groupe a connu des difficultés récemment qui l’ont conduit a une chute boursière de près de 60% depuis l’an dernier (ce qui n’a pas manqué d’attirer l’oeil d’investisseurs « dans la valeur » comme Munger, qui voient dans la faible valorisation du groupe une opportunité).
Nous avons donc ici un cas classique de leader de son secteur qui s’échange à faible prix, du fait de problèmes temporaires. La situation idéale pour des investisseurs « value« tels que Buffett ou Munger. Mais de quels problèmes s’agit-il? Voyons cela dans la suite.
Les raisons de la chute d’Alibaba (-60%)
Comme vous pouvez vous en douter, l’action n’a pas chuté sans raison cette année (environ 60% de baisse depuis les plus hauts du titre, ce qui n’est pas rien). Et si le problème ne vient pas des ventes ici, il provient d’un autre facteur très important : la régulation.
De nouvelles règles fortes sur le commerce
Le gouvernement chinois a récemment durci les lois sur le commerce, et a publié une liste de règles qui pourraient impacter grandement le business d’Alibaba.
Pour commencer, Alibaba a déjà écopé d’une amende de 2.8 milliards pour violation des lois anti monopole sur l’e-commerce au mois d’avril. Egalement, la société a été encouragée à créer un « fonds de prospérité commune » d’un montant de 15 milliards de dollars.
Si les montants vous paraissent énormes, dites vous que le groupe est suffisamment gros pour que ces 2 dépenses imprévues réunies n’aient que très modestement impacté ses perspectives.
Cependant actuellement, des lois restreignant la possibilité de collecte des données clients continuent d’être votées, ce qui pourrait affecter grandement le business d’Alibaba dans le futur (les données étant le nerfs de la guerre du business en ligne).
Ce que pricent les marchés ici : ce sont donc les risques règlementaires importants sur le groupe.
Le problème de l’action Alibaba
Il y a un autre problème potentiel de taille pour les investisseurs qui souhaiteraient prendre des parts dans Alibaba : c’est qu’en réalité, vous ne pouvez pas.
Comme vous le constaterez, BABA est une société chinoise qui cote aux Etats-Unis. Et comme vous le savez peut être, le gouvernement chinois n’apprécie pas trop d’avoir des investisseurs étrangers qui prennent des parts dans ses sociétés locales (seuls les chinois peuvent acheter des actions chinoises).
La résultante de cela, c’est que malgré le fait que la société soit cotée sur le marché américain (sous le ticker « BABA ») : quand vous achetez des actions Alibaba, vous n’achetez pas vraiment des parts de la société.
Vous achetez en fait des parts de ce qu’on appelle un « VIE » (Variable Interest Entity), situé aux Iles Caïmans qui vous donne non pas des droits sur la société, mais des droits sur une part des profits de la société (et donc, en l’absence de profits, des droits sur rien du tout).
Gardez aussi en tête que ce mode de fonctionnement dépend totalement du bon vouloir des régulateurs, et peut être sujet à des changements. La majorité des investisseurs ignorent totalement ce mode de fonctionnement particulier, et les risques supplémentaires que cela peut entrainer.
Mais le jour où le gouvernement décide de changer sans préavis les règles concernant les VIE, les investisseurs étrangers détenteurs de parts pourraient bien avoir de gros problèmes.
Voilà pour les risques, voyons maintenant ce que voit Munger aujourd’hui dans la société.
Ce que voit Charlie Munger (les perspectives)
Pour résumer ici, nous avons donc le cas d’une société qui domine totalement son secteur, qui a des perspectives de croissance explosives, un quasi monopole, et qui s’échange désormais a une valorisation faible, du fait de pénalités financières de court terme, et des craintes des investisseurs concernant un durcissement de la régulation.
La logique de Munger est la même que celle de Buffett : acheter des sociétés extraordinaires lorsqu’elles sont faiblement valorisées (du fait de problèmes temporaires). Pour Munger, c’est le cas aujourd’hui sur BABA au point que celui-ci soit prêt à investir 67 millions sur la société.
La valorisation du groupe représente aujourd’hui moins d’un tiers de celle d’Amazon, pour une position encore plus dominante que le géant américain sur le marché du commerce en ligne. L’investissement de Munger reste donc avant tout (encore et toujours), un investissement « value » caractéristique de son style usuel.
Lorsque Munger a acheté la première fois cette année, l’action valait autour des 240 dollars, et il estimait qu’il s’agissait déjà d’un prix raisonnable. Depuis l’action est tombée à 140 dollars (soit 100 de moins que le prix original payé), ce qui explique le récent renfort de sa position.
Ce qui m’étonne ici, c’est que Munger, qui est pourtant usuellement très en défaveur des usines à gaz financières et des montages exotiques ne semble guère gêné par le fait d’investir par le biais d’un VIE, dont la structure est elle même soumise à des risques règlementaires importants.
Nul doute que celui-ci est déjà au courant de cela cependant, et qu’il doit estimer les risques faibles si il y a consacré une part aussi importante de ses investissements. Quoiqu’il en soit, le gros pari de Munger divise.
A-t-il raison et s’agit-il de l’achat « value » de la décennie? Ou Charlie sous estime-t-il de nombreux problèmes réglementaires potentiels?
Quelle que soit la réponse, il faut reconnaitre qu’il est très rare d’avoir des sociétés qui affichent le taux de croissance d’Alibaba au prix auquel le titre s’échange actuellement.
Conclusion
J’ai trouvé que ce récent achat par Charlie Munger du géant de l’e-commerce chinois était un cas très intéressant à étudier ici. L’investissement dans la valeur parait parfois facile sur le papier (acheter de bonnes sociétés avec une décote), mais nous avons ici un bon exemple des difficultés que cela peut présenter en situation réelle.
Juste après son premier achat en début d’année, Charlie a essuyé une perte immédiate de 40%. Au lieu de couper sa position, il l’a augmentée de 80%. Il n’est pas facile d’avoir ce niveau de conviction, et une erreur ici aurait des conséquences dévastatrices sur son portefeuille boursier.
Cependant, il est vrai aussi qu’en cas de normalisation de la situation (et d’absence de gros problèmes du coté règlementaire), cet investissement débouchera sans doute pour lui sur des gains potentiels très importants.
Il est cependant intéressant de noter aussi que Buffett et Berkshire Hathaway (qui ont pourtant un style d’investissement assez proche de celui de Munger) n’ont quand à eux pas investi dans Alibaba pour le moment. Pourquoi? La question reste ouverte…
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