Depuis quelques années, les courtiers en bourse gratuits (c’est à dire vous proposant d’acheter et vendre avec zéro commissions, et zéro frais de courtage) se sont multipliés.
Comme dans beaucoup de choses, vous devriez être hautement sceptique quand on vous propose un service « gratuit ». Et le but de toute entreprise étant de faire des profits, il faut toujours se demander comment la société gagne de l’argent si elle prétend ne rien vous facturer.
C’est ce point que je vous propose d’éclaircir dans cet article, afin que vous puissiez faire un choix de courtier en bourse plus éclairé.
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Comment les courtiers en bourse gratuits gagnent de l’argent?
Au départ, la plupart des courtiers en bourse « gratuits » expliquaient gagner leur argent en générant des intérêts sur la partie en cash de votre compte de bourse. Et en prêtant de l’argent aux investisseurs qui empruntent pour investir.
Le problème aujourd’hui, c’est que les taux d’intérêts sont quasiment à zéro, ce qui rend cette activité très peu profitable.
Les courtiers « zéro commissions » peuvent aussi compenser leurs faibles frais en vous facturant plus sur tous les autres types de services (les transferts bancaires entrants/sortants, les ouvertures et clôture de compte, ou un tarif premium pour plus d’assistance), mais ce n’est pas la manière la plus commune de faire des profits.
La manière la plus courante de gagner de l’argent pour un courtier « sans frais », c’est de vendre le flux d’ordre de bourse qu’il reçoit à une contrepartie.
Je sais que cela peut sembler un peu complexe si vous êtes tombé sur cet article parce que vous débutez en bourse et que vous recherchez un courtier, mais il est crucial que vous compreniez bien ce concept pour faire un choix éclairé.
Le cœur des profits : la vente d’ordres de bourse
Quand vous passez un ordre de bourse sur les marchés (par exemple un ordre d’achat de X actions), il est dirigé par votre courtier vers une contrepartie, c’est à dire une personne ou institution qui souhaite vendre ces mêmes titres à un prix Y.
Quand l’acheteur passe un ordre d’achat « au marché« , il accepte (théoriquement), d’échanger avec le vendeur qui propose le meilleur prix au moment de la transaction.
Dans le cas de la vente d’ordre de bourse, le flux d’ordre n’est pas dirigé en priorité vers le meilleur prix (même si il est souvent écrit que le courtier a une politique de « meilleure exécution »). Le flux d’ordre est dirigé en priorité vers une institution partenaire, qui paie pour avoir accès au flux d’ordres de bourse du courtier.
Quel est l’intérêt de payer pour avoir accès à un flux d’ordre de bourse en priorité? Et bien cela permet basiquement à la personne/institution qui est en face de proposer un prix légèrement pire que ce que vous auriez obtenu avec un courtier traditionnel payant.
Et donc vous payez indirectement vos frais avec une exécution sous optimale.
Un exemple concret
Supposons que vous souhaitiez acheter 100 actions d’une société X qui cote à la bourse de Paris. Le prix de l’action est affiché à 10 euros au moment où vous passez votre ordre de bourse. Si vous aviez acheté chez un courtier traditionnel, votre prix aurait été de 10 euros x 100 actions = 1000 euros.
Mais votre courtier en bourse est un courtier gratuit, qui va vendre son flux d’ordre de bourse. Votre ordre de bourse va arriver en priorité chez une institution partenaire, qui vous proposera un meilleur prix de 10.05 euros. Le prix payé sera donc de 10.05 x 100 actions = 1005 euros.
Vous avez donc en fait payé 1000 euros d’actions, et 5 euros de frais cachés.
Les courtiers gratuits, une arnaque? (quelques nuances)
En lisant le paragraphe précédent, vous vous dites peut être que les courtiers gratuits sont une arnaque qui essaie de tirer profit de la méconnaissance des clients pour leur soutirer des frais cachés.
Là où les choses se compliquent, c’est que vous pourriez bien payer moins cher malgré cela chez un courtier gratuit que chez un courtier payant (sous certaines conditions).
Le problème des courtiers gratuits : l’opacité
Prenez l’exemple des 5 euros de frais cachés que j’ai cité au dessus. Il se peut que le problème soit beaucoup moins ou beaucoup plus grave que ce que j’ai évoqué. Supposons que le courtier dirige vos ordres vers une contrepartie qui propose 10.01 euros pour 100 actions : vous ne payiez que 100 x 10.01 : 1001 euros, soit 1 euro de frais de courtage.
Cela reste moins que la plupart des courtiers « low cost ». En revanche, si le courtier vous dirige vers une contrepartie qui propose 10.1 euros, vous payez 100 x 10.1 = 1010, soit 10 euros de frais de courtage, ce qui est excessif par rapport à de nombreux courtiers « low cost ».
Là où un courtier traditionnel payant énoncera clairement combien il vous coute, vous n’avez aucun moyen de savoir combien vous coûte vraiment un courtier en bourse (pseudo) gratuit. Cependant nous pouvons émettre quelques hypothèses.
Le vrai prix des courtiers gratuits
Vous avez compris le principe maintenant je pense pour ce qui est de comment ces courtiers sans frais génèrent leurs profits, la question maintenant est : à quel point c’est grave?
Pour me faire ici l’avocat de l’autre partie et vous proposer une vision objective : dans des conditions de marché « normales », le prix qu’ils vous proposent ne peut pas être pire dans de grosses proportions que le prix de marché (parce que cela se verrait et serait illégal, et parce que les sociétés partenaires peuvent faire leurs profits sur de très petits montants).
On peut donc supposer que pour un petit compte de bourse, l’écart de prix final que vous aurez entre un courtier low cost et un courtier gratuit sera relativement minime dans des conditions de marché « normales ».
Les vrais problèmes surviennent quand les conditions de marché ne sont pas « normales », et quand votre compte de bourse grossit.
La voie vers de potentiels problèmes opérationnels?
Si vous faites le choix d’investir en bourse, vous devez pouvoir avoir suffisamment confiance en votre courtier pour savoir qu’il vous permettra d’acheter et vendre sans problème quelles que soient les conditions de marché (car en bourse, soyez assuré que la prochaine tempête n’est jamais très loin).
Beaucoup de courtiers sans frais ont traversé leur première vraie tempête boursière en 2021, avec l’affaire Gamestop. Et on peut dire que les résultats n’ont pas été très concluants.
Comme nous évoluons dans un environnement boursier relativement facile depuis des années maintenant (un marché haussier majeur), les occasions de voir comment ces courtiers se comportent sous la pression n’ont pas été légion. Et le peu que nous avons vu n’incitait guère à la confiance.
Affaire Gamestop : un baptême du feu raté?
Si vous étiez sur les marchés au début de l’année 2021 (et que vous opériez via un courtier gratuit), vous avez peut être eu la surprise de retrouver vos ordres de bourse temporairement bloqués durant la tempête sur certaines valeurs (entre autres problèmes éventuels d’accès aux flux de données, et de passage d’ordres).
Le problème s’est aggravé au point que certains courtiers ont fait l’objet de poursuite, mais plus important, l’affaire a révélé les problèmes que pouvaient causer la revente d’order flow (que ce soit au niveau des soucis opérationnels ou du conflit d’intérêt si l’institution partenaire est en jeu, sur ce point nous ne saurons jamais exactement fixés).
Ce que nous savons en revanche, c’est que cette affaire a permis de faire déjà une différence entre les courtiers qui s’étaient retrouvé bloqués (et qui avaient donc de bonne chances de faire leur beurre sur de la revente d’order flow), et ceux qui ne l’étaient pas.
Personnellement, j’utilise Degiro (qui n’est pas un courtier gratuit, mais qui reste un courtier à faibles frais), et là où beaucoup de mes amis se sont retrouvés bloqués, je pouvais toujours passer des ordres de bourse pendant cette période (même sur les valeurs à problèmes), ce qui est un « stress test » en temps réel toujours appréciable.
Alors, l’économie de quelques centimes ou euros (en fonction de la taille de votre compte), justifie-t-elle de prendre le risque d’en perdre des milliers le jour où la situation sur le marché se tendra, et où vous serez dans l’incapacité technique de déboucler certaines positions?
Chacun est juge, mais personnellement, je n’en suis pas sûr.
Conclusion
Cet article n’a pas pour but d’être un pamphlet contre les courtiers gratuits, mais simplement un texte explicatif de comment fonctionne leur business model (point sur lequel ils ont parfois tendance à être évasifs), et des problèmes potentiels qu’il peut entrainer.
C’est aussi une invitation à ne pas forcement changer votre courtier pour toujours aller au moins cher si vous êtes satisfait de celui que vous avez aujourd’hui. Dans toute industrie, il y a généralement une limite au delà de laquelle on ne peut pas tirer les prix sans que la qualité du service en pâtisse.
Je pense que récemment, beaucoup d’acteurs ont joué avec cette limite, et les problèmes surviendront, comme toujours, lorsque les conditions de marché seront moins calmes qu’aujourd’hui.
(P.S : #Disclaimer, l’investissement est une activité qui implique des risques bien réels de pertes en capital, aussi soyez sûr d’être dûment formé et préparé avant d’envisager de passer à l’action, ou d’ouvrir un compte chez un courtier en bourse).
ELYA DARELLE says
bonjour,
je comprends mieux ce qui se passe quand je transmets des ordres d’achat à mon courtier (Bourse Direct). Plusieurs fois j’ai trouvé bizarre que le prix soit plus élevé que le cours : exemple le vendredi soir le prix de l’action était à 8€ et le lundi matin à l’ouverture du marché, l’achat a été fait à 8,10 € à 9 H (achat au marché) + les frais entre 0,99 € à 3,62€ par ordre. Je me posais des questions et comme j’ai suivi votre formation : je fais très attention aux frais mais il est très difficile de contester !
Pierre says
Bonjour Elya,
Ici le problème peut être lié au fait que le dernier prix de clôture affiché (celui du vendredi soir) ne correspondra pas forcement à la première offre vendeuse au lundi matin à l’ouverture.
Il peut en effet y avoir des décalages assez importants ici, car comme il y a le weekend end entre les deux, les opérateurs ont du temps pour annuler/modifier leurs ordres (si le dernier échange du vendredi se fait à 8 euros, il est même parfois possible que le premier prix proposé le lundi soit de 10 ou 12 euros si il y a eu une grosse news dans le weekend).
Pour éviter ce problème, il vaut mieux soit traiter pendant les heures d’ouverture exclusivement (quand le marché est le plus « liquide »), soit passer des ordres « à cours limité » (afin de ne pas être exécuté au delà du prix souhaité) ; Bien Cordialement
Philippe says
Impossible Elya puisque bourse direct, malgré leur pub, est un des brookers les plus cher notamment sur les bourses américaines ( or c’est là que l’on gagne le plus !). Bourse direct n’est donc pas du tout dans la catégorie « gratuit ». Maintenant si vous achetez du Air liquide que vous gardez 10 ans, c’est très bien.
Pierre says
Bourse Direct est en effet un courtier « low cost » (mais pas un courtier gratuit). Et il est vrai que leur frais grimpent très vite lorsque l’on sort d’Euronext, en revanche ils sont parmi les plus compétitifs en France pour tout ce qui est PEA (chose qui peut intéresser pas mal d’investisseurs locaux) ; Cdt
ELYA DARELLE says
Bonjour Pierre
Il s’agit d’actions françaises et d’un compte PEA. Le problème est que je travaille pendant les heures d’ouverture du marché. Pour cette raison, je passe mes ordres en ligne le soir après mon travail. Ensuite Degiro ne fait pas de PEA. Je pensais que le marché redémarrait le matin au prix arrêté la veille ou le vendredi et qu’on pouvait donc acheter à ce prix dès l’ouverture du marché. Passer des ordres à cours limité c’est prendre le risque que l’achat ne se fasse pas à cause de cette limite justement..Pour cette raison, votre article est très intéressant car il dévoile la réalité de ce qui se passe vraiment.
Sim says
Merci pour cet article, javais ouïe dire qu’il y avait anguille sous roche mais je ne connaissais pas la raison.
Sinon je suis curieux car quand j’avais commencé en bourse, j’étais allé chez Degiro après lecture de tes articles.
Tu dis que tu n’es plus dessus or je te vois mal aller sur un courtier gratuit ? Depuis qu’IBKR a arrêté ses frais d’inactivité tu es allé dessus ?
Pierre says
Bonjour Sim,
Si je suis toujours chez eux! (l’emploi du passé dans l’article est peut être maladroit, c’était pour signifier que j’étais déjà chez le courtier pendant les tensions de janvier, et donc que j’ai pu suivre tout cela en temps réel).
Pour la raison technique, en effet j’ai pensé qu’il serait peut être important de dédier un article à tout cela car je reçois parfois des messages de lecteurs qui me demandent pourquoi j’utilise encore des courtiers payants en 2021… la récente affaire Robinhood me semble être une bonne illustration des raisons qui ont motivé ce choix ; Cdt 🙂
Gael says
👍🏼