Depuis quelques semaines, les articles sur l’arrivée d’une récession en 2020 se sont multipliés. Et tous ou presque se basent pour tirer leurs conclusions sur un phénomène que j’avais évoqué en tout début d’année (et qui s’est finalement produit) : l’inversion de la courbe des taux.
J’ai reçu de nombreuses questions à ce sujet ces derniers temps, et l’article de cette semaine va donc me permettre d’apporter quelques éclaircissements et nuances au sujet de cette fameuse courbe, et de la récession que tant de gens semblent attendre pour 2020.
Nous y verrons (entre autres) une étude détaillée de la performance moyenne des actions après une inversion, et si ce phénomène met (ou non) vos investissements en danger aujourd’hui.
Au programme :
- L’état de la courbe des taux aujourd’hui (vers une récession en 2020?)
- Le problème de la popularité de la courbe des taux
- L’avis d’un prix nobel sur l’inversion actuelle (nouvelle étude!)
Table of Contents
L’état de la courbe des taux aujourd’hui (vers une récession en 2020 ?)
En début d’année, j’avais présenté dans un article un des indicateurs de récession les plus fiables historiquement : la courbe des taux. Et j’y ai expliquais que (toujours historiquement) une inversion de cette courbe a précédé 100% des récessions.
Aujourd’hui, il s’avère que (comme l’a repris la quasi intégralité de la presse financière au cours de ces dernières semaines) : la courbe des taux est bel et bien inversée.

Cela veut-il dire qu’une récession en 2020 (ou 2021) est inévitable ? Et plus important encore, est-ce que cela a une importance pour votre portefeuille d’actions ? C’est ce que nous allons voir dans la suite. Mais tout d’abord quelques précisions.
Ce qui a changé depuis mon précédent article
Au moment d’écrire mon article sur la courbe des taux en début d’année, je pensais présenter une information relativement nichée connue de quelques statisticiens et geeks de la bourse tout au plus, et qui offrait un lien de causalité statistiquement significatif à l’échelle de l’histoire (pouvant aider à être plus ou moins agressif sur ses investissements).
Seulement au cours de ces dernières semaines les discussions sur la courbe des taux sont devenues omniprésentes partout dans la presse financière (et c’est probablement la question que j’ai le plus fréquemment reçue ces derniers temps), ce qui m’a conduit à me poser de sérieuses questions à son sujet.
Usuellement en bourse, tout ce qui touche la page 1 d’un grand média financier est un bon indicateur contrarien et le proverbe de Mark Twain « A chaque fois que vous vous retrouvez du côté de la majorité, c’est qu’il est temps de faire une pause et de réfléchir » y est plus que jamais justifié.
Dans la suite, retour donc sur quelques subtilités de la courbe des taux.
Le problème de la popularité de la courbe des taux
La semaine dernière, une étude très intéressante a été publiée par Michael Batnick sur la popularité de la courbe des taux à travers les années en tant indicateur de récession. Pour faire cela, Michael a compilé le nombre de fois où a été mentionnée la courbe des taux dans le New York Times lorsqu’une inversion (comme celle de cette année) s’est produite.
Il faut savoir qu’en bourse, une explosion de popularité sur un actif ou un concept est rarement une bonne chose dans le sens où quasiment à chaque fois que quelque chose devient « mainstream », cela cesse de fonctionner (car pour espérer gagner plus que la majorité en bourse, il faut forcement faire les choses différemment de celle-ci).

La popularité explosive de cet indicateur ces derniers temps est donc à mon sens un premier drapeau rouge concernant sa future validité potentielle (un second étant que l’environnement actuel de taux est beaucoup plus bas qu’au cours de ces 50 dernières années, ce qui rend cette courbe beaucoup plus facile à inverser qu’à l’époque).
Autre élément : la psychologie de marché aujourd’hui
Ajoutons à cette popularité inquiétante qu’en règle générale, les marchés haussiers se terminent usuellement dans une vague d’euphorie, et plus rarement lorsque tout le monde publie des articles alarmistes sur une future récession (ce qui est plus ou moins le cas actuellement) :

Indice AAI du sentiment de marché aujourd’hui (le pessimisme au plus haut) :

Nous pourrions sans doute continuer à débattre longtemps sur le sujet de la validité de la courbe des taux pour ce qui est de prédire (ou non) une future récession en 2020 dans le contexte actuel (et opposer des dizaines d’arguments allant en sa faveur ou en sa défaveur).
Cependant nous pouvons trancher le débat en posant une meilleure question (et une qui nous intéresse plus directement en temps qu’investisseurs) : Faut-il vendre ses actions (ou arrêter d’en acheter) quand la courbe des taux s’inverse?
La réponse à cette question a le mérite d’être beaucoup plus claire, et une nouvelle étude vient d’être publiée le mois dernier par les prix Nobels d’économie Fama et French à ce sujet.
Performance des actions et inversion de la courbe des taux : l’avis d’un prix nobel (nouvelle étude)
Au lieu de se demander si l’inversion va (ou non) déboucher sur une récession en 2020, Fama et French changent d’angle d’attaque pour répondre à la question qui nous intéresse vraiment, à savoir « Est-ce qu’il faut vendre ses actions quand la courbe des taux s’inverse ? ».
Pour y répondre, les deux auteurs ont testé 11 marchés boursiers différents sur une période de 45 ans, ont utilisé 6 signaux d’inversion différents, et ont simulé les rendements obtenus sur chacun de ces marchés sur des périodes de 1 à 5 ans (post inversion). Et en résumé la réponse est « non ».
Voici l’introduction de leur papier à ce sujet :
Traduction :
« Une courbe des taux inversée, avec des taux plus élevés sur la partie courte des bons du trésor a tendance à prévoir les futures récessions.
Peut-être à cause de cette relation, certains investisseurs, craignant qu’une inversion de la courbe des taux ne soit synonyme de faibles rendements sur les actions, réduisent leur exposition aux actions quand la courbe s’inverse. Nous avons testé si leurs craintes étaient justifiées. La réponse est non.
Nous n’avons trouvé aucune preuve qu’une courbe des taux inversée ne prédise une sous performance des actions sur des périodes de 1 an, 3 ans et 5 ans. »
La méthode de test utilisée
Pour arriver à cette conclusion : la méthode utilisée est la suivante : Fama et French ont simulé plusieurs portefeuilles qui passent entièrement en cash rémunéré (et vendent donc toutes leurs actions) juste après qu’une inversion se soit produite. Ces portefeuilles sont détenus sur 1 an, 3 ans et 5 ans après une inversion.
Si la courbe des taux avait un quelconque pouvoir prédictif sur le sens futur des actions, plusieurs de ces portefeuilles devraient logiquement surperformer un indice actions classique. Hors, ici c’est l’inverse qui se produit.
Fama et French ont calculé l’ensemble des « premiums » (c’est-à-dire des rendements générés en excès) sur différentes périodes par cette stratégie rotative, et ils s’avère qu’ils ressortent négatifs sur toutes les périodes (je les ai encadrés ci-dessous) :

Voici leurs conclusions :
“Le premium quasi uniformément négatif trouvé dans nos résultats suggère qu’une vente d’actions après une inversion réduit les rendements attendus d’un investisseur. »
« Nous n’avons trouvé aucune évidence suggérant que la courbe des taux peut aider les investisseurs à éviter les mauvaises périodes sur les actions. »
“Nos résultats impliquent que les investisseurs qui essaient d’augmenter leurs rendements en passant des actions au cash après une inversion sacrifient une partie du premium positif présent sur les actions. »
Comment cela s’explique-t-il?
Nous avons donc ici un indicateur capable de prédire avec fiabilité (historiquement) une récession… mais pas les rendements des actions (qui sont pourtant connues pour chuter durant ces périodes) ?
Cela semble illogique à première vue mais ne l’est pas vraiment, et la solution à ce paradoxe se trouve dans un problème que j’avais déjà évoqué dans mon premier article sur la courbe des taux : le timing.
Une inversion de la courbe des taux a toujours précédé les récessions historiquement, mais la période de « lag » entre l’inversion et une récession effective est comprise entre quelques mois… et 2 ans! Et dans l’intervalle les marchés boursiers peuvent largement monter de 50% puis chuter de 20% ensuite, nous laissant ainsi avec des retours nets positifs sur la période (qui seraient perdus si nous étions passés en cash).
Il s’agit là d’une des nombreuses subtilités du monde de la bourse, et ces conclusions confirment un postulat que j’ai déjà défendu plusieurs fois sur le site : essayer de faire des prévisions boursières est vain et a tendance à ne jamais marcher comme prévu (et fort heureusement, vous n’avez pas besoin de cela pour gagner de l’argent en bourse).
Conclusion
Pour réussir en investissement (comme en business) : il est essentiel de concentrer ses efforts sur les éléments qui vous rapporteront un maximum de résultats pour un minimum de travail.
Et comme l’a prouvé cette nouvelle étude de Fama et French : même un indicateur de récession fiable ne nous permet pas nécessairement de gagner plus d’argent en bourse. Essayer de les anticiper est donc une activité à la fois chronophage, complexe, et à faible retour sur investissement.
Un investisseur aura donc tout à gagner à laisser de coté l’aspect prédictif et timing de marché pour se concentrer sur ce qui compte vraiment pour réussir à long terme, c’est à dire créer un portefeuille d’actions de qualité que vous pourrez conserver durant les périodes de croissance et de récession sans paniquer, et ajuster la taille et le contenu de ce portefeuille en fonction de vos besoins, de vos préférences, et de votre profil d’investisseur.
Exactement,
Enfin, il faut « bénir » une crise économique. En soit effectivement, ce n’est pas agréable, mais si on se pose la question de savoir si il faudrait vendre ou pas, cela signifie juste que l’on est trop exposé.
Je pars du principe qu’une crise economique d’une part permet de « naturellement » faire une sélection. #Darwin.
D’autre part, si on est investit dans des actions de qualité ( mais VRAIMENT de qualité) en equal weight sur une 20 aines de position. On a
1/ Assez de filet de protection.
2/ Les dividendes ne diminueront pas et l’achat d’action sera nettement moins cher que maintenant.
Bonjour Noel,
Tout à fait sur les sociétés solides, les périodes de chute sont le moment idéal pour racheter à bon compte et booster ses rendements en terme de dividendes (elles peuvent même faire gagner plusieurs années à un investisseur qui vise l’indépendance financière via le cashflow de son portefeuille).
Néanmoins ces périodes ne sont pas toujours faciles à vivre psychologiquement, et il faut être sûr à 100% de ses méthodes et des sociétés que l’on détient pour pouvoir continuer de réinvestir sereinement ;
Cdt
Totalement d’accord avec toi et c’est pour cela Pierre que …
J’ai suivi ta formation pour justement être certain de ce que je faisais.
Etant médecin de formation, j’aime ton côté très » Evidence base ».
Il est certain que j’aurais paniqué à la moindre correction par le passé.
Je suis beaucoup plus serein vis à vis de cela maintenant.
Parfois, j’avoue que il faut bien écouter plusieurs fois les séminaires pour saisir certaines nuances.
Par ailleurs pour me couvrir également contre une éventuelle récession, j’avoue avoir une infime partie de mon portefeuille en or physique uniquement de type demi-napoleon qui a un « effet de levier » pendant les crises. Et qui est rassurant si une éventuelle récession se pointe.
Je me dis que si il y a une recession, le prix de ce type d’actif explose #panique#moutons#confianceor#monprecieux.
Et qu’il sera bon de le vendre pour acheter des actions avec la plus-value.
Qu’en penses-tu ?
Bonjour Mathieu,
Effectivement détenir une petite portion d’or pour faire « coussin » durant les périodes difficiles est tout à fait possible (les métaux précieux sont d’ailleurs ce qui permet a une allocation telle que celle du portefeuille permanent d’avoir une stabilité supérieure à la moyenne : https://plus-riche.com/portefeuille-permanent ).
En revanche l’or ayant tendance à dégager des rendements inférieurs aux actions sur le long terme, en inclure une portion trop importante à tendance à être contre productif au niveau des rendements sur de longues périodes (et hors marché baissier).
En gros c’est un échange sur le long terme d’un peu de rendement contre un peu plus de stabilité (et il convient à chacun d’arbitrer son allocation sur ce point en fonction de ses préférences personnelles, et de sa tolérance à la volatilité) ;
Bien Cordialement
Ce qu’il ne faut pas oublier non plus, c’est les conséquences fiscales de vendre des actions. Dans mon cas (j’habite au Québec), si je vends des actions (en dehors de mes comptes d’Épargne retraite et du compte libre d’impôt), je dois payer environ 25% d’impôt sur le gain en capital. Donc, si l’action que je vends ne perd pas 25% pendant la crise économique ou la récession, je suis perdant en partant. Encore plus si je perds un ou deux versements de dividendes entre la vente et le rachat.
Comprenez bien, je ne suis pas contre faire des ventes stratégiques si on anticipe une récession, mais liquider tout le portefeuille, à plus forte raison les titres conservés dans des comptes non-enregistrés où les gains en capital sont imposables, ça devrait être une action drastique réservé aux pires moments (genre, on te diagnostique un cancer et tu commences à liquider tes actifs pour en profiter de ton vivant et faciliter la succession par la suite).
Effectivement Francois, ta situation géographique est en ta défaveur à ce point de vue la mais c’est un mal pour un bien. Cela te permet du coup d’être plus discipliné.
Moi c’est l’inverse, je suis en Belgique et on a aucune taxe sur les plus-values ( par contre on est taxé du feu de dieu sur les dividendes : 30% sans compter les taxes françaises ou américaines, ce qui fait que au final, on est sur du 50%…).
Mais ce n’est pas un bien car du coup on exécute beaucoup plus d’ordres. Sans véritable rendement.
Il m’a fallu du temps pour être discipliné.
Bonjour Mathieu et François,
C’est vrai que la taxation Belge sur les dividendes n’est vraiment pas avantageuse, et qu’il faut toujours essayer de composer au mieux de sa fiscalité. Pour ce qui est des périodes difficiles, si l’on veut éviter une taxation (ou éviter de sacrifier son PRU, son rendement sur coût, de payer de gros frais d’achat/revente, ou encore que l’on veut dégager plus de cash pour pouvoir le réinvestir), l’option de « couvrir » ponctuellement son portefeuille avec des options/futures est également une possibilité (à réserver selon moi aux investisseurs aguerris et à des périodes bien spécifiques bien sûr), mais disons qu’il y a toujours des options qui permettent de se préserver sans nécessairement vendre ses titres ;
Cdt