Depuis le début de la correction boursière de la fin de l’année dernière (et comme à chaque début de correction), la peur que la situation ne dégénère en krach boursier au cours des mois qui viennent fait frémir les investisseurs. Alors, les chances d’un krach boursier en 2019 sont elles aussi élevées que certains le prétendent? Ou les marchés vont-ils rebondir?
Si vous êtes un lecteur régulier du site, vous savez sans doute déjà que je répète régulièrement que personne ne peut prévoir le futur, et que Warren Buffett lui même (pourtant le plus grand investisseur du 20ème siècle) dit que « les prévisionnistes boursiers n’existent que pour améliorer la réputation des diseuses de bonne aventure« .
Et pourtant. Dans un océan d’indicateurs boursiers parfois un peu farfelus (et dans leur majorité pas franchement efficaces il faut bien le dire), il existe un indicateur économique qui (jusqu’à présent) a prédit 100% des récessions.
Sans plus attendre, zoom sur cet indicateur mystérieux et ce qu’il nous dit aujourd’hui (mais tout d’abord, quelques précisions).
Table of Contents
Qu’est-ce qui cause un krach boursier?
En bourse il faut savoir qu’il existe 2 types de chutes :
- Le véritable « krach boursier » (une chute soudaine et brutale des prix qui se produit sans raison particulière ; comme dans le cas du krach d’octobre 1987 par exemple)
- Le marché baissier majeur (qui a l’inverse du véritable « krach » est une érosion lente et durable des prix sur plusieurs mois, comme cela s’est produit en 2000 ou en 2008 par exemple)
Lorsque la plupart des gens disent craindre un « krach boursier », ce qu’ils craignent réellement, c’est en fait un marché baissier majeur (qui fera probablement bien plus de dégâts à votre portefeuille qu’un krach boursier « classique »).
La différence entre les deux
La plupart des krachs boursiers se produisent très vite et les cours retrouvent souvent rapidement leurs niveaux d’avant crise. Ce fut le cas par exemple lors du krach boursier (sans récession) de 1987 :
Les marchés baissiers majeurs sont beaucoup plus pernicieux car ils prennent leurs racines dans la santé de l’économie. Ils surviennent généralement durant les récessions, et peuvent causer de sérieux dégâts à un portefeuille boursier composé uniquement d’actions volatiles.
Ce fut le cas par exemple pour le marché baissier boursier (avec récession) de 2008 :
Pour résumer : un krach boursier prend souvent ses racines dans le sentiment de marché, alors qu’un marché baissier prend ses racines dans des fondamentaux économiques en détérioration. Le corollaire de tout ceci, c’est que si vous pouvez prévoir les périodes de récession économique, vous pouvez aussi prévoir les marchés baissiers majeurs.
Prévoir les krachs boursiers (et les récessions)
Le problème (vous vous en doutez), c’est que prévoir les récessions n’est pas simple.
L’économie mondiale est une gigantesque machine aux multiples rouages. Ce n’est pas parce qu’un rouage se grippe que l’ensemble de la machine va s’arrêter, et savoir quel rouage il faut surveiller en priorité n’est pas chose facile.
Cependant il existe un indicateur économique relativement simple sur lequel un signal négatif a précédé 100% des récessions (et donc des marchés baissiers majeurs) de ces 50 dernières années. Cet indicateur, c’est ce qu’on appelle la « courbe des taux » (ou « yield curve »).
L’indicateur qui a prévu toutes les récessions
La courbe des taux est tout simplement une courbe composée des taux d’intérêt auxquels on prête l’argent sur divers échéances. Par exemple, 3 mois, 6 mois, 1 an, 10 ans, 30 ans. Cela donne une courbe qui ressemble (en temps économiques « normaux ») grosso modo à ceci :
Ici la courbe des taux a un format « normal » (et logique) : on prête l’argent a faible taux à court terme (autour de 1.75%) et on prête avec un meilleur taux d’intérêt sur du long terme (3%). La plus forte incertitude liée à un prêt de long terme est logiquement mieux rémunérée.
Et bien il faut savoir justement que toutes les récessions de ces 50 dernières années ont systématiquement été précédées d’une inversion de cette courbe des taux (c’est à dire que les taux courts deviennent plus élevés que les taux longs quelques temps avant qu’une contraction économique majeure ne se produise).
Si vous vous demandez plus concrètement à quoi ressemble une courbe des taux « inversée », elle ressemble grosso modo à ceci :
Courbe des taux et récessions : les leçons de l’histoire
Voici maintenant (pour que vous constatiez mieux du phénomène) un petit graphique incluant l’ensemble des récessions et des inversions de courbe des taux depuis 1968 :
Et si vous voulez quelque chose d’un peu plus épuré, en voici une autre version :
Comme vous pouvez le voir, cela a été un indicateur plutôt efficace puisqu’il a fonctionné à chaque fois, et qu’il a précédé de plusieurs mois la période de récession effective.
La courbe des taux : un indicateur « miracle »?
Lorsque ce genre d’occurence se produit, il est toujours bon de se demander quelles sont les raisons qui font que l’indicateur fonctionne, ceci afin de réduire les chances que tout cela ne soit arrivé par « pure chance ».
Dans le cas de la courbe des taux, il n’y a rien de magique : la courbe des taux est simplement le reflet des politiques de taux d’intérêt des banques centrales qui ont tendance à causer les cycles d’expansion/récession via ce levier d’ajustement (plus d’informations à ce propos dans mon article « Comprendre l’économie mondiale en 30 mn« ).
Lorsque nous arrivons en fin de cycle, les banques centrales passent brusquement d’une politique de hausse des taux à une politique plus accommodante ce qui se traduit par une chute plus que proportionnelle des taux longs (qui sont plus sensibles que les courts).
Egalement, les bons du trésor à long terme étant considérés comme des actifs « sûrs » (car garantis par le gouvernement), ils sont souvent achetés en masse lorsque des troubles économiques sont anticipés, hors si beaucoup de gens en achètent massivement, cela pousse rapidement leur prix à la hausse (et leur rendement à la baisse), ce qui explique également ce phénomène d’inversion.
Ce qu’il faut retenir de tout ça…
- La courbe des taux a été prouvée par de nombreux de papiers de recherche comme étant plus fiable que la majorité des experts pour ce qui était de prévoir les périodes économiques difficiles.
- Une inversion de la courbe des taux précède généralement une récession d’une période historiquement comprise entre 8 et 24 mois avec une moyenne de 1 an environ.
Appliquons maintenant ces informations à notre présente situation pour voir si il faut tirer la sonnette d’alarme.
Krach boursier en 2019? Ce que nous dit la courbe des taux
Voici ce que nous dit la courbe des taux au jour où j’écris cet article :
Comme vous pouvez le voir, pour le moment les taux courts évoluent bien significativement en dessous des taux longs et « l’horloge de la récession » présentée plus haut ne s’est pas encore déclenchée.
Pour se livrer à ce genre d’exercice, l’écart suivi est généralement celui entre un taux de court terme (généralement le 2 mois ou le 3 mois) et un taux de plus long terme (généralement le 10 ans).
Ici le 3 mois est bien au dessous du 10 ans, la courbe est donc « normale » :
Il faut également garder à l’esprit que l’inversion précède généralement la récession d’une période d’un an environ, ce qui veut dire que même si elle se produisait aujourd’hui, elle ne serait pas synonyme d’une chute imminente des bourses. Jusqu’à preuve du contraire, la probabilité de krach boursier (au sens d’un marché baissier majeur) est donc plutôt faible en 2019.
Conclusion
J’espère que cet article vous aura intéressé et que la courbe des taux sera un instrument supplémentaire que vous pourrez ajouter dans votre boite à outil d’investisseur pour vous aider à prendre des décisions éclairées (miser gros sur les actions pendant une inversion ou un début d’inversion est par exemple une mauvaise idée, et provisionner du cash et patienter est souvent une meilleure alternative).
J’espère également avoir pu rassurer certaines personnes sur le sujet de la probabilité d’un krach boursier en 2019. Bien entendu la courbe des taux est loin d’être la seule variable que je suis (et je vous invite à jeter un oeil au reste du site si vous voulez en savoir un peu plus) mais c’est, selon les recherches académiques, l’une des plus fiables et des plus robustes.
Et sur ce je vous dis à très bientôt pour une autre variable intéressante que je surveille régulièrement du coin de l’oeil.
Allée says
Merci beaucoup Pierre pour cet éclairage, en effet rassurant.
Estelle says
Merci, clair et instructif pour les novices comme moi.
Sylvain says
Merci, toujours aussi intéressant tes articles.
Nicolas says
Article très intéressant ! Merci Pierre !
NicolasR says
Je lisais il y a un mois « The U.S. Yield Curve Just Inverted. That’s Huge. » sur Bloomberg.
Il s’agit en l’occurence du « Yield spread between 3- and 5-year Treasuries »
source: https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2018-12-03/u-s-yield-curve-just-inverted-that-s-huge
Pierre, est-ce que tu peux faire un commentaire la-dessus ?
Merci pour ton boulot !
Pierre says
Bonjour Nicolas,
Bonne remarque effectivement. L’article Bloomberg joue sur le fait que la partie « courte » de la courbe des taux (3 a 5 ans) a effectivement connu une inversion.
Ce que ne mentionne pas l’article en revanche c’est que prendre 2 taux courts (comme le 3 et le 5 ans ici) n’a pas de sens pour faire ce genre d’analyse (chose qui est également reprochée au journaliste dans les commentaires).
Le spread de taux qui a le pouvoir prédictif le plus significatif est le 3 mois / 10 ans selon les recherches académiques, donc c’est celui-ci qu’il faut surveiller en priorité.
La partie courte des taux connaît des inversions plus fréquentes et moins significatives que la partie longue, l’article Bloomberg a donc été rédigé sur la base d’un non événement (#clickbait)
En espérant avoir pu apporter des éclaircissements ;
Cdt
NicolasR says
Top. Merci.
Wei says
Bonjour Pierre,
Merci pour ce nouvel article très intéressant! En effet, lors d’une correction boursière, la grosse crainte c’est que ça continue de tomber.
Petite question, est-ce que tu vas toujours sur treasury.gov pour garder un oeil sur cet indicateur? Ou existe-il une manière moins contraignante pour le suivre?
Merci!
Pierre says
Bonjour Wei,
En général j’utilise toujours le site treasury.gov, comme cela je suis sûr que la source utilisée est à jour et fiable ;
Bien Cordialement
bernard says
Bonjour,
Pouvez-vous confirmer que la courbe des taux s’est bien inversée hier 22/03? Qu’ en pensez-vous? Félicitations pour votre site et merci par avance pour votre réponse.
Pierre says
Bonjour Bernard,
Effectivement il y a eu inversion ce mois-ci (argument qui a d’ailleurs été utilisé aussitôt pour générer pas mal de gros titres catastrophistes #CNBC).
Personnellement je regarderai 2 choses maintenant : si la courbe reste inversée durablement, ou si le phénomène ne dure que quelques jours avant de se normaliser (le premier cas donnerait plus de poids à cette inversion que le second). Ensuite je conserverai un oeil sur les grands indicateurs Macroéconomiques en quête de signes éventuels de ralentissement dans les mois qui viennent pour confirmer ce signal.
Il faut également garder une chose en tête : historiquement les inversions de courbe ont précédé les récessions d’une période allant de 8 mois à presque 3 ans, ce qui veut dire que même dans le cas d’une inversion validée, il peut se passer encore plusieurs mois à plusieurs années de marché haussier avant une récession.
Pour conclure : c’est un premier drapeau rouge potentiel qui s’est levé et qui implique d’être plus attentif dans les mois qui viennent, mais nul besoin de paniquer non plus dans l’immédiat.
Dominique says
Bonjour Pierre,
en effet, on constate qu’entre le 3 mois et le 10 ans il y a eu du changement.
Faut-il s’en inquieter ?
Pierre says
Bonjour Dominique,
C.F. la réponse faite à Bernard ci-dessus ;
Bien Cordialement
Nicolas Daudin says
Bonjour Pierre,
Je vois que comme l’ont pointé plusieurs lecteurs, il y a eu une inversion en Mars, qui s’est résorbée au bout de quelques jours et cela s’est nouveau inveersé le 13 mai de manière plus durable.
Une conséquence de la Trade War?
Tu en penses quoi ?
Pierre says
Bonjour Nico,
Le jury délibère encore sur celle ci. Actuellement il y a 2 camps :
-ceux qui disent que la courbe des taux et la situation économique n’étant plus les mêmes que dans le passé (intérêts globalement bien plus bas aujourd’hui), la situation implique des faux signaux plus fréquents, et une courbe des taux moins fiable (auquel cas une inversion plus forte et manifeste serait nécessaire pour envoyer un signal clair).
-ceux qui disent qu’on a bien eu une inversion (aussi légère soit elle), et donc que l’horloge de la récession est déclenchée (et pourrait se produire sous 1 a 3 ans).
Difficile de trancher entre les deux camps ici pour le moment (c’est pour cela qu’il est généralement bon de croiser plusieurs indicateurs), ceci dit si la courbe allait dans le sens d’une inversion plus forte, durable et manifeste (donc moins « discutable »), ce serait clairement un point négatif. Tant que nous avons des inversions en demi teintes, le débat reste ouvert et il est difficile de trancher, les deux camps présentant des arguments valides ;
Cdt
Nicolas Daudin says
J’ai une deuxième question: puisque ce premier drapeau rouge a été levé, comment savoir quand la récession va s’amorcer pour de bon. Le range de 8 mois à 3 ans est quand même assez grand, et j’ai envie d’investir mais du coup j’ai des doutes sur si c’est le bon moment!
Pierre says
Bonjour Nico,
C’est justement le problème : la courbe des taux était le plus simple et fiable jusqu’à présent, mais reste loin d’être un indicateur très précis au niveau du timing.
Comme je le dis souvent : les boules de cristal n’existent pas en bourse, et tout ce qu’on peut faire (au mieux) c’est d’avoir des approximations, et jouer les probabilités.
Personnellement j’utilise l’AT en plus pour avoir une vision de la psychologie de marché à l’instant T (de gros volumes de ventes institutionnelles près de zones charnières ne sont jamais bon signes, plus d’infos à ce sujet dans cet article : https://plus-riche.com/analyse-technique , mais globalement l’AT peut être utile pour venir confirmer ou infirmer un scenario macro que l’on a en tête).
Ceci étant dit, en règle générale je ne fais pas d’achat/revente sur les actions de qualité, donc je m’en sert simplement pour acheter plus après des déclins majeurs (et alléger les achats quand les marchés sont « surétendus », comme expliqué dans la formation 😉 ) ; Cdt
Nicolas Daudin says
Merci pour tes deux réponses Pierre, top d’avoir ton retour!!
Mais du coup j’ai d’autres doutes (#relou)
– Comment tu détectes des ventes instutionnelles?
– C’est quoi une zone charnière pour toi? Quand on atteint une moyenne mobile tu veux dire?
– que veux-tu dire par marchés surétendus? quand c’est trop haut et surévalué?
Merciii!
Nico.
(PS: bizarre, la notification de réponse à mes commentaires ne fonctionne pas…)
Pierre says
Salut Nico,
-Des volumes de vente supérieurs à la moyenne à répétition sur un titre largement capitalisé sont généralement synonymes de ventes institutionnelles (les ventes régulières et dans des proportions importantes causent généralement les tendances baissières constatées en AT).
-C’est simplement une zone de support de long ou de très long terme (CF module AT pour les supports et les résistances en bourse).
-Le terme surétendu peut désigner 2 choses : une valorisation excessive d’un point de vue fondamental, et une hausse parabolique très loin au dessus des moyennes mobiles en AT (les deux allant souvent ensemble ; CF module AT, partie « quand ne pas acheter » 😉 )
Cdt
Alessandra says
Bonjour pierre,
Je suis complètement novice, je ne connais rien à la bourse. Je n’investis par en actions. J’ai cependant une question à propos de tous ces mécanismes par rapport à l’immobilier :
Je viens de vendre un bien immobilier qui m’a permis, après 2 ans de travail et beaucoup d’énergie engagée, de gagner 100ke. Pour l’instant, ils sont à la banque. Avant un krach boursier ou une récession, faut-il mieux conserver ses liquidités à la banque ou investir en immobilier ?
En clair, compte tenu de l’instabilité financière actuelle et des risques à venir, que dois-je faire pour sécuriser cet argent ?
Merci infiniment pour votre retour.
Alessandra
Pierre says
Bonjour Alessandra,
Voici plusieurs articles qui pourront vous apporter quelques éléments de réponse à ce sujet :
https://plus-riche.com/krachs-boursiers
https://plus-riche.com/investir-marche-cher
https://plus-riche.com/portefeuille-permanent
Bien Cordialement