Au cours de ces derniers mois, le marché des cryptomonnaies a beaucoup chuté, avec un Bitcoin passant de 70 000 à 20 000 dollars, et un Ethereum passant de 5000 à moins de 1000 dollars.
Au cours de cette baisse (qui dure depuis fin 2021 maintenant), beaucoup « d’influenceurs » du monde des cryptos ont encouragé les spéculateurs à acheter tous les mois pour « réduire les risques » sur leur point d’entrée (s’inspirant ici de la méthode boursière populaire du « DCA »).
Mais est-ce vraiment une bonne idée? Personnellement je ne le crois pas, et je pense qu’encourager cette approche sur des actifs tels que les cryptomonnaies provient d’une incompréhension des principes fondamentaux qui sont derrière la méthode d’origine.
Dans cet article, je vous propose de voir pourquoi « acheter des cryptos tous les mois » est à mon sens (et à celui de Graham), une stratégie dangereuse pour vos finances.
Table of Contents
Les Origines du « DCA »
Une méthode qui ne s’applique pas aux cryptos
La méthode dite du « Dollar Cost Averaging » a initialement été popularisée par Benjamin Graham dans son livre l’Investisseur Intelligent… qui comme vous vous en doutez, est un livre qui porte essentiellement sur l’investissement en actions.
(Livre dont vous pouvez trouver un résumé au passage sur la chaine Youtube du site).
Le tout premier chapitre de l’investisseur intelligent est intitulé « Investissement vs spéculation« .
C’est un chapitre introductif dans lequel Graham commence par détailler les nuances importantes qui existent entre ces deux pratiques, avant d’encourager le lecteur à agir « comme un investisseur, et non comme un spéculateur« .
C’est une notion clé ici, car par définition aucune des méthodes recommandées par Graham ne peut être appliquée à des actifs dits « spéculatifs » (et surtout pas le DCA, nous verrons pourquoi plus en détails dans la suite).
Investissement vs spéculation : Définition
Voici la définition d’un investissement selon Graham : « Un investissement est une opération financière qui, par une analyse poussée, promet une sécurité du principal et un retour correct. Tout le reste relève de la spéculation. »
Plus concrètement, la différence entre investissement et spéculation peut être résumé ainsi :
L’investissement, se base donc avant tout sur la notion de valeur intrinsèque.
La source des rendements est la capacité d’une entreprise à créer de la valeur dans le temps, et à dégager des bénéfices. Selon Graham, on peut investir avec une « marge de sécurité » quand le prix de marché se situe sous la valeur intrinsèque.
Sans estimation de la valeur intrinsèque, il est impossible d’appliquer les méthodes recommandées par Graham, et on tombe alors automatiquement dans la spéculation (p.s : au sens de Graham, les métaux précieux et les devises sont par nature des actifs spéculatifs).
Confondre Investissement et spéculation = Danger
Graham explique ensuite qu’il n’y a rien de mal à spéculer de temps en temps, mais que le péril survient souvent quand un investisseur spécule alors qu’il croit investir.
Ceci car les méthodes à appliquer pour ces deux activités sont très différentes.
Graham poursuit ensuite dans le livre, « N’ajoutez jamais d’argent sur un compte dédié à des activités spéculatives » dit-il, en opposition directe avec l’idée de faire du « Dollar Cost Averaging » tous les mois sur ces actifs.
Pourquoi (au sens de Graham), le DCA n’est pas applicable sur les cryptos?
Voyons cela dans la suite.
1/ Le Bitcoin n’est pas un indice boursier
En bourse, en règle générale on applique la méthode du « DCA » (investissements réguliers tous les mois) uniquement sur des indices boursiers, car les prix des indices sont adossés à un panier d’actifs diversifiés (plusieurs dizaines à plusieurs centaines d’actions).
Et plus spécifiquement ici : à des sociétés dont les bénéfices montent dans le temps.
Occasionnellement, on peut faire du « DCA » sur des valeurs individuelles qui présentent un discount par rapport à leurs fondamentaux (toujours en tenant compte des bénéfices), mais cette activité est déjà plus risquée que sur un indice, et reste à réserver aux investisseurs aguerris.
Ceci parce que si la valeur d’un indice boursier « diversifié » arrive à zéro, c’est que l’économie est morte. En revanche la valeur de n’importe quelle (mauvaise) société, peut dans l’absolu arriver à 0.
Et la valeur de n’importe quel actif « spéculatif » peut arriver à zéro (ou proche de zéro).
Quand on est un bon investisseur en bourse, on ne « DCA » pas sur une matière première (type gold), et on « DCA » encore moins sur une paire de devises (type EUR/USD) parce que cela n’a aucun sens.
Pourtant, pour une raison obscure, la plupart des gens semblent convaincus que DCA sur une crypto est une stratégie intelligente et conservatrice.
2/ Le « DCA » ne permet pas de limiter les risques
Une des différences clés entre une opération d’investissement et une opération spéculative est que dans le deuxième cas, vous devez avoir un plan de sortie. Car la préservation du principal n’est pas garantie. Et il y a même de fortes chances qu’il ne soit pas préservé du tout.
Quel est le point d’invalidation de votre scénario dans le cas d’un investissement en cryptos? Le point où vous vous dites « si je perds X ou Y%, c’est probablement que ma thèse initiale est invalidée« .
La plupart des spéculateurs en cryptos pyramident leur argent à l’infini sur des véhicules spéculatifs, sans plan de sortie. En finance, on appelle cela « moyenner à la baisse« , et n’importe quel financier vous dira que c’est une recette qui conduit au désastre.
Quand vous investissez dans un indice boursier, vous avez une stratégie de limitation des risques « intégrée » à votre plan d’investissement. Car, les sociétés non profitables sont régulièrement « sorties » des indices, et remplacées par de plus profitables.
Le DCA n’est donc pas une stratégie de gestion des risques. C’est une simple méthode de lissage de son prix d’entrée sur une stratégie déjà diversifié, qui s’occupe à votre place de réduire les perdants, et d’augmenter la voilure sur les gagnants.
Quand vous ajoutez de l’argent tous les mois sur une crypto qui se déprécie rapidement, en cas de catastrophe : vous aurez votre plus large position exactement au pire moment. Et aucune garantie de revoir un jour les sommes (conséquentes avec du DCA) que vous y avez investi.
3/ Une crypto qui chute n’est pas « en soldes »
Elle est juste moins chère.
C’est là aussi une confusion importante que l’on voit régulièrement postée sur les réseaux sociaux à chaque fois que les cryptomonnaies chutent, on peut lire un peu partout des post du type « soldes sur les cryptos« , etc…
Une crypto n’a pas de valeur intrinsèque. Elle ne paie pas de dividendes, ne possède pas d’actifs que l’on peut évaluer (murs d’une société, outils de production), pas de cashflows, pas de bénéfices. Elle ne peut donc pas être « en soldes« , au sens d’un investisseur. Elle est juste moins chère.
Comme le dit Warren Buffett « la valeur intrinsèque d’une devise est la même que celle d’un chéquier ». C’est un moyen de paiement.
Et même si vous comparez les cryptos à une forme de « réserve de valeur digitale« , au même titre que l’or et les métaux précieux : leur prix reste toujours 100% déterminé par ce que la personne d’en face est prête à payer demain pour l’obtenir.
Cela ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas monter, bien entendu. Simplement que vous ne devriez probablement pas appliquer des méthodes d’investisseur long terme pour vous positionner sur des actifs spéculatifs.
Vous trouverez peu de gérants de fonds professionnels dont les méthodes consistent simplement à « DCA » à l’infini sur l’euro/dollar, sur les métaux, ou sur une matière première, car en général : c’est une mauvaise stratégie.
Conclusion
Je pense que l’idée que l’on peut « transposer » le DCA des investissements boursiers traditionnels vers le monde des cryptomonnaies est l’une des plus grosses erreurs que font les spéculateurs du secteur actuellement.
Beaucoup de gens adorent citer Graham, mais peu ont apparemment lu l’Investisseur Intelligent, car l’introduction du livre est claire sur le fait que des méthodes comme le DCA ne peuvent pas, par définition être appliquées à des actifs tels que les cryptomonnaies.
Si vous voyez un angle mort dans le raisonnement présenté ici : n’hésitez pas à le pointer du doigt dans les commentaires. Mais pour avoir un peu débattu sur Twitter à ce sujet avec des partisans du DCA en crypto, j’ai toujours eu droit grosso modo aux mêmes réponses.
« Je suis confiant dans le fait que cela va remonter« . Ni la confiance, ni l’espoir, ne sont des stratégies valides de gestion des risques en finance. Et il y a près d’un siècle déjà, Graham écrivait qu’elles ont conduit beaucoup de spéculateurs au désastre.
STEPHANE says
Article très intéressant, je fais moi même un peu de DCA en crypto (en mode bac a sable), ça change les perspectives de bien remettre en question et savoir que c’est de la spéculation !
Je suis intéressé par le thread twitter mais le lien renvoie juste vers la page globale et non la conversation, possible de l’avoir ?
Pierre says
Bonjour Stephane,
J’ai modifié le lien pour qu’il conduise directement au thread (ceci dit les points qui y sont présentés sont grosso modo les mêmes que dans l’article, mais en moins détaillés, du fait de la limite de caractères) ;
Bien Cordialement
STEPHANE says
Parfait merci. Ce qui m’intéressait était surtout les réponses au fil !
Pour compléter un peu ma réponse précédente, de mon côté je fais du « DCA » sur une sélection de 10 cryptos dans les plus grandes valorisations (j’essaye d’exclure les cryptos type shitcoin, même si cela reste subjectif). Cela me permet de lisser un peu le risque lié à une seule crypto.
Néanmoins si une des crypto s’effondre alors l’historique d’investissements ne vaut plus rien (au contraire d’un index boursier !)
Cela étant dit, ces mises restent spéculatives et ne produisent de la valeur qu’en sortant plus tard grâce à une montée des prix (ce qu’il n’est pas toujours simple de faire), avec un risque de ne valoir plus rien en inconvénient principal…
Anthony says
Merci Pierre pour cet article, beaucoup de bon sens encore une fois! Bon dimanche
jm09 says
Très bon article, je pense la même chose. Les gens se croient à l’abri avec le DCA, mais ça peut les conduire très bas. Je n’ai jamais fait cela, et je reste sur une gestion KISS ( keep it simple, stupid). Les djeuns se moquaient des vieux et leurs actions plan plan, mais le btc est à 19760 à l’instant. Comme dit Warren Buffet, il refuserait de donner $25 contre toutes les cryptos du monde …
Olivier says
Merci pour cette perspective intéressante.
Mais si l’on fait du DCA sur le bitcoin en le considérant comme un outil d’avenir, et avec une perspective de long-terme. C’est-à-dire en ne le considérant pas comme un actif spéculatif, mais comme une monnaie qui sera utile dans les écosystèmes blockchain (sécurisation de documents, transactions, protection d’identité, certification et autres cas d’usage).
Quel est alors l’erreur, s’il y en a une ?
STEPHANE says
En fait peu importe que le bitcoin soit un succès ou un échec.
Il y a (selon moi, en attendant l’avis de Pierre) deux soucis :
1/ « Investir » de l’argent sur un seul actif, quel qu’il soit, est en contradiction avec les règles d’investissements type DCA qui sont en général sur un groupe d’actifs (souvent des index, qui permettent en eux-mêmes de ne jamais être confronté à un actif qui tombe à zéro.
Une entreprise peut tomber à 0, mais un index sur le principe n’est pas censé le faire puisqu’il représente tout le temps les meilleures entreprises du marché répliqué. Si une entreprise de l’index tombe à zéro, elle est exclue du dit index et remplacée par une autre ! Il existe une petite probabilité que l’index tombe à 0, mais cela voudrait dire que l’économie est à zéro également : possible, mais bien moins probable par rapport à 1 seule entreprise tombe à zéro, ce qui se produit très fréquemment !
2/ 2ème problème : Que le bitcoin soit adopté comme une vraie monnaie ou non revient au même.
Graham insistait bien sur le fait que même les monnaies classiques types USD sont spéculatives par essence ! Elles n’ont pas vraiment de valeur intrinsèque, autre que celle qu’on veut bien leur donner, comme le Bitcoin. Elles ne sont pas adossées à de l’immobilier, des rendements, ni quoique ce soit ancré en valeur réelle (surtout depuis la fin de Bretton Wood), là où une entreprise possède une valeur « réelle » sur le principe. Vous ne gagnerez pas d’argent sur une monnaie en dehors d’une revente de cette monnaie à une valeur supérieure de la valeur d’achat (pas de dividendes par exemple).
La frontière est néanmoins de plus en plus floue avec beaucoup de valeurs d’entreprises basées sur beaucoup d’immatériel, quid des entreprises du web 3.0 ?
Je mettrais peut-être bien un bémol sur ce point 2/ pour l’Ethereum et certaines autres blockchains. Elles possèdent des revenus, liés à l’utilisation de leur blockchain, pour faire fonctionner des applications concrètes. C’est à mon sens un peu comme si on rémunérait du réseau électrique pour faire fonctionner son ordinateur et ses appareils électriques de son entreprise ou domicile. On peut choisir le réseau EDF et le rémunérer, ou un autre. L’analogie pourrait donc faire de Ethereum un actif valable au sens de cet article. Attention > le point 1/ tient néanmoins toujours !
=)
Pierre says
Bonjour Olivier,
L’erreur à mon sens ici est de considérer qu’innovation est forcement synonyme de profits. Buffett a un point de vue assez intéressant au sujet de l’innovation et des profits en bourse que j’avais détaillé plus avant ici : https://plus-riche.com/warren-buffett-portefeuille-conseils .
Vous pouvez avoir raison sur le plan fondamental, et toujours perdre de l’argent.
Ensuite cela ne résout pas (comme le dit justement Stephane), le problème de l’absence de plan de sortie. Peut être que le Bitcoin sera en effet utile dans les écosystèmes blockchain.
Ou peut être qu’il sera totalement obsolète et que la crypto qui sera la plus utilisée ne sera finalement pas le BTC (regardez le cas de Myspace pour les réseaux sociaux : un pionnier qui a été facilement disrupté).
Faire du DCA dans ce cas de figure ne permet toujours pas de gérer les risques efficacement en cas de problème.
En espérant avoir pu donner quelques pistes de réflexion ; Cdt