Avec des marchés évoluant sur des niveaux élevés (et avec l’emballement récent des cryptodevises), les mots « bulle spéculative » ont tendance à revenir régulièrement dans les médias financier (souvent un peu à tord et à travers).
Dans des articles précédents j’avais évoqué la possibilité d’une bulle sur les cryptodevises, j’ai donc pensé que le moment était bien choisi pour revenir un peu sur la notion de bulle spéculative, qui est souvent mal comprise.
Je vais donc revenir ici sur les facteurs principaux qui caractérisent les bulles spéculatives à travers quelques exemples de bulles célèbres, et donner quelques trucs permettant d’en reconnaitre les mécanismes (qui comme nous allons le voir sont grosso modo toujours les mêmes).
Commençons donc par revenir sur quelques bulles qui ont marqué l’histoire.
Table of Contents
Quelques exemples de bulles spéculatives célèbres
1/ La première bulle spéculative : la tulipe
On dit généralement que les bulles spéculatives sont nées en même temps que le commerce mais lorsqu’on pense au premier cas de bulle spéculative historiquement documenté on pense généralement au cas de la tulipe.
Si vous avez vu le film « Wall Street », Gordon Gekko (incarné par Michael Douglas) a d’ailleurs le tableau suivant représentant l’évolution des cours des bulbes de tulipes au dessus de son bureau qui lui sert de « mémento mori » financier :
Il est assez drôle de voir que la première bulle de l’histoire ne concernait pas un quelconque instrument financier spéculatif, mais une simple fleur que l’on peut trouver aujourd’hui dans nos jardin. Revenons donc sur cette période du début du 17ème siècle qui a été surnommée par les historiens de la finance la « tulipomanie« .
Dans les années 1630, la culture de la tulipe est délicate et les bulbes de tulipes ne sont vendus que durant 2 mois dans l’année et devant un notaire (au même titre qu’une vente immobilière aujourd’hui), ce qui en fait une fleur rare qui plait beaucoup à la noblesse de l’époque. L’engouement des riches pour la fleur n’est un secret pour personne et les prix des bulbes de tulipes commencent à monter. Voyant cela, même les plus pauvres veulent leur part du gâteau : ils vendent leurs biens et leurs avoirs pour acheter des bulbes de tulipes dont la valeur monte de jour en jour. Plus les gens en achètent, et plus les prix montent.
En 1637, un seul bulbe de tulipe suffit à payer 2 maisons et vaut 15 fois le salaire d’un artisan de l’époque. Problème : il n’y a plus grand monde ayant les moyens d’en acheter à ces prix exorbitants.
L’absence d’acheteurs fait qu’au cours de l’année les prix commencent à s’effondrer de manière spectaculaire : les paysans qui avaient vendus leurs maigres possessions pour quelques bulbes essaient de les revendre dans l’urgence pour ne pas tout perdre, la panique accélère la chute des prix et un an plus tard, le bulbe de tulipe retrouve sa valeur financière de simple ornement de jardin : c’est à dire pas grand chose.
2/ La bulle spéculative des années 1920 (et krach de 1929)
Probablement la bulle sur les actions la plus célèbre de l’histoire.
Dans les années 1920, les marchés boursiers américains entament un rallye colossal. Suite à la fin de la première guerre mondiale, l’économie explose durant ce que les américains surnomment les « roaring twenties » : une période de prospérité économique, de richesse et d’excès.
Cette période de prospérité et d’optimisme conduit les investisseurs à acheter massivement des actions : les entreprises dégagent des profits considérables, le secteur de l’industrie explose et tout le monde pense que les choses seront ainsi pour toujours.
Le phénomène est aggravé par la possibilité d’acheter « sur marge », c’est à dire qu’a cette époque, on peut acheter 90 dollars d’actions en déposant seulement 10 dollars à la banque (les actions sont achetées à crédit et l’argent est emprunté à taux variable ce qui rend les choses encore plus risquées).
La valeur de l’indice boursier Dow Jones Industrial est multipliée par 10 entre 1920 et 1929.
Mais en 1929 l’économie commence à ralentir et donne des signe d’affaiblissement. Pire : comme tout le monde achète déjà des actions à crédit depuis des années, il n’y a plus de liquidités disponibles pour acheter : tout le monde détient déjà autant d’actions que la loi le lui autorise. Un célèbre expert financier de l’époque, Roger Babson publie un article où il explique ses inquiétudes sur la haute probabilité d’un krach boursier.
Le mardi 29 octobre 1929 (surnommé « le mardi noir »), la bourse ouvre et il n’y a pas d’acheteurs. En une matinée, l’indice Dow Jones chute de 12%. La chute déclenche des vagues de panique, et les spéculateurs ayant acheté « sur marge » se retrouvent forcés de vendre leurs positions ce qui accélère la chute.
Au plus fort de la crise, l’indice Dow Jones a perdu 85% de sa valeur depuis son plus haut des années 1920, ce qui en fait la plus grosse chute boursière de l’histoire.
(N.B. : Si vous voulez en savoir un peu plus sur la crise de 1929, j’ai écris un article expliquant comment Jesse Livermore, le plus grand spéculateur de ces années là a réussi à prévoir et bâtir une fortune sur ce krach boursier grâce à la justesse de sa vision de l’économie de l’époque).
3/ La bulle internet des années 2000
Voilà une bulle qui est plus proche de nous. Vous connaissez déjà probablement cette histoire.
A la fin des années 1990, une révolution technologique majeure voit le jour : internet. Une révolution technologique si complète et totale que les financiers (et le monde en général) ont du mal à en mesurer les implications futures.
Ce qui conduit (comme durant la formation des 2 bulles évoquées précédemment) à des excès majeurs d’optimisme. Les spéculateurs achètent tout (et à tous prix) ce qui a un lien proche ou lointain avec le secteur de l’internet, même des sociétés qui ne réalisent absolument aucun profits.
Comme dans les années 1920 : les politiques accommodantes des banques centrales permettent un accès facile aux crédit, et l’excès de capital à placer généré par les baby boomers accentue le phénomène. Et comme dans les années 1920, le début de la crise part d’une disparition des acheteurs causée par une hausse rapide des taux d’intérêt (rendant l’accès au crédit plus difficile et conduisant certains investisseurs à vendre leurs titres).
La bulle éclate en 2000 lorsque la réalité économique reprend ses droits sur les attentes irréalistes des spéculateurs : le Nasdaq, indice américain des valeurs technologiques, perd 78% de sa valeur (l’indice de référence S&P 500 lui ne perd « que » 46% du fait de sa plus faible exposition à ces nouvelles sociétés).
Définition et caractéristiques principales des bulles spéculatives
Voyons maintenant les facteurs qui reviennent dans chacun des cas présentés.
1/ Excès d’optimisme
Dans la vie de tous les jours, l’optimisme est généralement une bonne chose. Mais ce n’est pas le cas en finance. Il n’y a généralement pas d’argent à gagner en investissant dans des actifs sur lesquels tout le monde est optimiste. Si tout le monde est sûr à 100% du futur radieux d’un titre ou d’un secteur : celui ci est probablement trop cher pour être acheté par un investisseur avisé.
Si vous êtes investisseur immobilier ceci est vrai aussi pour les appartements : si vous voulez un bien neuf dans une copropriété magnifique avec vue mer, commerces à proximité, décoration impeccable et garage, je peux vous garantir que vous allez le payer trop cher.
Lorsque l’optimisme s’emballe, il débouche sur des perspectives faussées et des attentes de gains futurs irréalistes.
2/ Comportements grégaires (et sentiment d’urgence)
Les investisseurs aveuglés par l’appât du gain et les sommes massives gagnées facilement par les premiers à s’être positionnés sur une bulle naissante ont le sentiment qu’ils sont en train de rater une opportunité de faire de l’argent facile.
Ils commencent alors à rentrer à n’importe quel prix ce qui pousse encore brutalement la valeur de l’actif à la hausse et crée un cercle qui s’autorenforce et qui conduit à une…
3/ Hausse rapide et parabolique des prix
Tous les graphiques de bulles se ressemblent. Ils commencent par une hausse modérée qui se transforme en hausse parabolique, puis en un très bref plateau suivi d’une chute vertigineuse.
Un angle d’accélération des prix toujours plus important est un drapeau rouge majeur indiquant que la situation ne sera pas soutenable très longtemps car cette accélération conduit à une…
4/ Déconnection avec la valeur fondamentale de l’actif
En 1600, la difficulté relative de culture de la tulipe ne justifiait en aucun cas que l’on puisse payer 2 maisons avec un objet périssable à vocation purement ornementative (donc ne satisfaisant aucun besoin vital ou fondamental).
Et la plupart des sociétés dans lesquelles les spéculateurs de la bulle des Dotcoms avaient investis ne gagnaient pas d’argent. Ils pariaient donc sur des sociétés qui, a l’époque ne valaient rien. Une société ne vaut rien par définition tant qu’elle n’a pas de revenus stables tirés de la vente de ses produits ou services qu’une base loyale de clients est prête à acheter où à consommer avec récurrence et stabilité.
La déconnection avec la valeur réelle d’un actif est une des caractéristiques principales des bulles spéculatives, et le phénomène survient plus facilement (ou est amplifié) lorsqu’il y a une…
5/ Grosse masse d’argent disponible en circulation (facilité d’accès au crédit)
Les bulbes de tulipes pouvaient être achetés et vendus par le biais de contrats papiers qui n’impliquaient pas forcement de les détenir physiquement ou de les régler au comptant.
La bulle des années 1920 a été nourrie par les facilités d’achat sur marge et les nouvelles règles impliquant que 10 dollars déposés donnaient droits à 90 dollars d’actions (achetées à crédit).
La bulle des Dotcoms a été encouragée par la masse d’argent à placer dont disposaient les baby boomers et par les faibles taux d’intérêts de l’époque.
Les gros volumes d’argent improductif disponibles doivent forcement se placer quelque part, et ils sont généralement le carburant des bulles spéculatives.
Comment éviter d’investir accidentellement dans des bulles?
Est bien c’est simple, il suffit de préter attention à chacun des points évoqués précédemment en :
1/ Evitant les actifs dont la valeur est gonflée par des excès d’optimisme
2/ Suivant sa propre stratégie sans tenir compte des comportements irrationnels des foules
3/ Evitant tout ce qui a l’air de près ou de loin graphiquement parabolique
4/ Prêtant attention à la valeur fondamentale de l’investissement réalisé (et en restant à l’écart si on ne peut l’évaluer)
5/ Etant très prudent avec le crédit et en évitant d’acheter sur marge (surtout durant les périodes d’optimisme excessif)
Conclusion
Actuellement nous sommes dans des circonstances économiques favorables à la formation de bulles (car tristement les facteurs poussant les marchés à la hausse sont les mêmes que ceux qui les conduisent parfois à des excès), mais cela ne veut pas dire pour autant que « le monde est une bulle ».
Je parle souvent du fait que les actions à dividendes croissants sont (entre autres) une protection naturelle contre les bulles spéculatives, car celles-ci se trouvent généralement dans des secteurs peu touchés par les excès d’optimisme et par les frénésies spéculatives. Et ce sont également des sociétés qui sont sur le marché depuis longtemps, ce qui permet d’avoir une idée assez précise de leur valeur fondamentale (à l’inverse de technologies plus récentes comme les biotechs ou les cryptodevises qui sont bien plus difficiles à évaluer).
Olivier de epargnersanssepriver.com says
Bonjour et merci pour ce petit cours boursier. On voit effectivement que l’on est dans une période où les bulles sont propices à se former! La remontée des taux d’intérêts dans l’immobilier est donc une bonne nouvelle pour éviter une bulle, ai-je bien compris la leçon?
Pierre says
Bonjour Olivier,
Globalement les taux directeurs qui comptent sont surtout ceux des banques centrales, ceux des Etats-Unis ont commencé à (très doucement) remonter, mais ceux en Europe restent toujours sur des niveaux planchers pour le moment (et n’ont pas l’air parti pour remonter significativement dans un futur proche, la croissance restant assez anémique).
Il est très probable que les choses continuent sur leur lancée encore un moment du coup…
(PS : même en immobilier, les taux restent toujours très bas : 1.75% à 20 ans sur mon dernier crédit)
Momo says
Bonjour , j’adore tes articles et je suis un nouveau qui te suis à peine 2semaines , je viens de lire l’un de tes articles sur la bulle spéculative de 1929, je trouve qu’il y’a une erreur , le Krach de 1929 débuté le Mercredi 23 Octobre 1929 et le Jeudi la dégringolade s’acharnait et Ce Jeudi 24 Octobre a été nommé » Le Jeudi Noir » au lieu du » Mardi Noir » comme tu l’as mentionné…
Merci pour ra compréhension
Pierre says
Bonjour Momo,
En fait, le fameux Krach de 1929 s’est fait en plusieurs étapes ce qui explique que l’on retrouve souvent les termes de « black tuesday » et « black thursday » de manière un peu interchangeable. Dans le graphe présenté dans l’article c’est bien d’un « black tuesday » qu’il s’agit (donc d’un mardi). Mais les marchés ont connu de nombreux jours de chutes successifs durant cette période, donc beaucoup de séances « noires » pour ainsi dire…
Bien Cordialement
NANA says
Bonjour,
Cet article est très bien expliqué, il permet de mieux comprendre ce terme de bulle spéculative.
pensez vous que l’on peut éviter les crises financières?
Pensez vous que les crises financières sont obligatoires dans le paysage de la finance internationale des années 2000?
Bien cordialement
Pierre says
Bonjour (et merci pour le retour positif 😉 ) ;
Depuis les origines de nos économies, il y a toujours eu des périodes de croissance et des périodes de récession, des périodes fastes et des périodes difficiles, et surtout (la nature humaine étant ce qu’elle est) : il y a toujours eu des périodes d’excès.
Pour ce qui est du futur, nul ne peut le prévoir mais pour répondre à cette question, je citerai cette phrase de Jesse Livermore écrite en 1930 (https://plus-riche.com/jesse-livermore-meilleur-trader) :
« Il n’y a rien de nouveau a Wall Street. Ce qui s’est produit dans le passé se produira encore et encore. Ceci parce que la nature humaine ne change pas, et que les émotions, solidement ancrées dans cette nature, seront toujours là pour se mettre en travers du bon jugement. » 😉
Cdt
Youngstocker says
Bonjour Pierre,
Pensez-vous qu’on assiste actuellement au développement d’une bulle sur les actions de type « énergie verte » ou « énergies alternatives » ?
Quand j’examine certains trackers (IE00B1XNHC34, par exemple), avec des progressions de plus de 100% en un an, et quand je considère l’engouement général à ce sujet, j’ai l’impression, en lisant les critères de bulle de votre article, qu’on coche presque toutes les cases.
Qu’en pensez-vous ?
Merci.
Pierre says
Bonjour Youngstocker,
Les énergies vertes font certainement parti des secteurs « tendance » du moment et leur valorisation a explosé à la hausse au cours de ces derniers mois (ce n’était pas le cas il y a quelques années, et il était encore possible de trouver de bon deals relativement simplement dans le secteur, comme je l’avais écrit dans plusieurs des articles du site).
De là à parler de « bulle » je ne sais pas trop, mais la valorisation de beaucoup de sociétés du secteur est certainement très riche aujourd’hui (et fait que je n’ai personellement pas ajouté à mes positions depuis un petit moment) ;
Bien Cordialement