Sur ce site, je parle souvent de la difficulté de faire des prévisions boursières (et économiques) justes, et de l’importance de ne pas se laisser impressionner par les flux de nouvelles (le plus souvent négatives) de court terme, si l’on veut espérer prospérer sur le long terme.
Au cours de ces derniers mois, après les craintes liées à l’inflation, ce sont les craintes liées à une récession qui leur ont succédé (comme le disait Peter Lynch « Il y aura toujours des raisons de s’inquiéter »).
L’argument de beaucoup était que nous étions déjà en récession, ou allions y entrer (d’où la chute préventive des bourses), et que les actions des banques centrales allaient détruire l’économie.
Maintenant que nous avons la plupart des chiffres des 2 premiers trimestres 2022 à notre disposition, qu’en est-il? Sommes-nous en récession? C’est ce que je vous propose de voir ici.
Table of Contents
Sommes-nous en récession?
Début juin, j’avais Tweeté que si nous avions une récession maintenant, ce serait la plus prévisible de l’histoire de la finance. Les tweets et les discussions sur la récession imminente étaient partout ces derniers mois (ceci déjà en mai/juin, au plus fort de la baisse).

Ce à quoi on m’avait répondu que « la récession était déjà là« , et le consensus était (grosso modo) que si vous n’anticipiez pas une récession : vous n’étiez pas très compétent économiquement (pour rester poli, et vous épargner le franc parler qui caractérise usuellement les échanges sur Twitter).
Et pour être honnête, il y avait beaucoup d’éléments pour alimenter ce coté de l’argumentaire. Une hausse des taux prévue par les banques centrales, une inflation élevée (qui met une pression sur les profits des sociétés), la fin de « l’argent gratuit » de la période Covid, etc.
En fait il n’y avait qu’un seul problème dans l’équation : tout le monde attendait une récession. Et quand c’est le cas, vous pouvez être sûr que le scenario est déjà plus ou moins « pricé » par le marché (car tous ceux qui l’attendaient se sont déjà positionnés en accord avec leurs attentes).

Gardez toujours une chose en tête : il n’y a pas d’argent à gagner en bourse sur un scenario déjà anticipé par la majorité des opérateurs. En général, les bourses adorent prendre le consensus à contrepied en faisant exactement l’inverse de ce qui est attendu.
(Comme le disait Jesse Livermore « les marchés ne sont jamais évidents. Ils sont faits de manière à tromper la majorité des gens la majorité du temps« ).
Alors, plus de 2 mois après tous ces tweets pessimistes, sommes-nous en récession?
Zoom sur le PIB américain en 2022
Une récession est souvent définie comme « 2 trimestres d’affilée de croissance négative » (il y a d’ailleurs eu débat à ce sujet, car il a été décidé récemment de changer la définition de ce qu’était une récession, ce qui n’a pas manqué d’agiter les réseaux sociaux).
Pour ce qui est de la France, nous ne sommes clairement pas en récession selon cette définition puisque les derniers chiffres du PIB étaient positifs (il n’y a donc guère de débat ici pour le moment). Revenons sur les U.S.
Si on se base sur cette définition, nous avons effectivement 2 trimestres négatifs sur le PIB :

Le problème c’est que cela n’a jamais été la définition « officielle » d’une récession.
Comme toujours en bourse et en économie, si vous utilisez un seul indicateur et un seul point de données, vous avez une vision incomplète de la situation, et vous pouvez facilement être trompé.
La définition d’une récession
Selon le NBER (National Bureau of Economic Research), qui est l’organisme américain « officiel » chargé de décréter quand commencent et finissent les récessions, une récession est définie comme :
« Un ralentissement significatif de l’activité économique étendu à plusieurs secteurs, et qui dure plus de quelques mois. »
Et la croissance du PIB n’est qu’un seul des nombreux facteurs pris en compte.
Un des points clés qui caractéristique une récession, par exemple, ce sont les destructions d’emplois, et une hausse du taux de chômage.
Un autre point clé, ce sont que les sociétés ont des problèmes pour maintenir leurs profits, que les ventes baissent, et que l’activité ralentit.
Voyons ce que ces deux variables nous disent sur la santé de l’économie aujourd’hui.
Un marché de l’emploi dynamique
Les derniers chiffres de l’emploi sont sortis, et ils sont plus ou moins unanimes : les créations d’emplois sont toujours dynamiques. En fait, le taux de chômage aux Etat-Unis est à un niveau historiquement bas de 3.5% (un des taux les plus faibles de ces 50 dernières années).
Plus de 528 000 emplois ont été créés selon les derniers chiffres publiés, ce qui est meilleur qu’attendu, au point que certains ont trouvé ce chiffre « inconfortablement haut » :
Difficile de parler de récession dans ce contexte.
Revenons maintenant sur le point clé numéro 2 : les profits des sociétés.
Les publications de sociétés
Fin Juillet/début aout, un large nombre de sociétés ont publié leurs résultats du second trimestre (j’avais posté sur facebook et twitter le planning chargé de ces dernières semaines).

Et il faut bien se rendre à l’évidence : la plupart des secteurs ont fait mieux qu’attendu.
- Le secteur du luxe a posté des profits records.
- La plupart des résultats des géants de la tech étaient meilleurs qu’attendus.
- Environ 70% des sociétés ont publié des résultats supérieurs aux attentes.
Peu importe où vous regardez au niveau des données sur le dernier trimestre : il est difficile de défendre l’idée que nous sommes en récession.
Les défenseurs de ce point de vue camperont cependant comme toujours sur leurs positions, et nous aurons droit à l’usuel « oui mais attendez un peu le trimestre prochain! ».
Sauf qu’ils l’avaient déjà dit les deux précédents, et qu’en bourse il ne suffit pas d’avoir raison pour gagner de l’argent : il faut aussi avoir raison au bon moment.
Quoi qu’il en soit, le but ici n’est pas de pointer du doigt qui a raison et qui a tord, mais de rappeler pourquoi des investisseurs comme Lynch ou Buffett prennent en général assez peu en compte les prévisions macroéconomiques dans leurs décisions d’investissement.
Elles sont souvent fausses, le nombre de variables à considérer est large et complexe, et elles ne sont pas toujours très utiles pour ce qui est de gagner de l’argent sur le long terme.
Conclusion
Faire des prévisions économiques justes est difficile.
Gagner de l’argent en pariant sur ces prévisions l’est encore plus. La plupart des investisseurs savent qu’ils devraient les ignorer et suivre leur plan, mais lorsque (comme ces derniers mois), le pessimisme atteint un pic : il est parfois difficile de rester discipliné.
Vous n’avez pas idée du nombre de message que j’ai reçu de gens envisageant de vendre parce que « la récession était une certitude » ces derniers mois.
Il n’y a jamais de certitudes en économie. Même si une récession arrive on ne sait pas exactement quand. Même si on sait quand : on se sait pas exactement ce que la marché a déjà décompté (ou non).
Peter Lynch, qui a gagné des millions en bourse, est célèbre pour avoir dit que « Si vous passez 13 minutes à analyser des prévisions boursières et économiques, vous en avez perdu 10″.
Ces derniers mois ont certainement été une bonne illustration de ce dernier principe.
Et une leçon à garder en tête pour la suite.
Tort* c’est quand même mieux que tord (dans le titre) 😉
Aille aille aille, près d’une semaine avant que quelqu’un ne me le fasse remarquer, soit mon lectorat n’est plus ce qu’il était, soit il y a plus de gens en congés que je ne pensais au mois d’août 😛 .
(Merci du coup, c’est rectifié!)