Si vous êtes un lecteur du site depuis un petit moment (ou juste que vous aimez vous promener sur le coté financier du web), vous êtes sans doute tombé à un moment ou à un autre sur la stratégie dite du « Portefeuille Permanent » (popularisée initialement par Harry Browne).
Ce portefeuille est également surnommé le « Portefeuille Anticrise » du fait de son allocation très défensive. Hors il se trouve que 2022 a été une des PIRES années pour cette stratégie historiquement.
Comment cela se fait-il? Le Portefeuille Permanent est-il cassé?
C’est ce que nous allons voir ici.
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Rappels sur le portefeuille permanent
La proposition initiale du portefeuille est simple, il est usuellement divisé ainsi :
- 25% en actions
- 25% en obligations
- 25% en métaux précieux
- 25% en cash
Voici la théorie justifiant la pertinence de cette allocation (si vous voulez les détails ici) :
- Les actions et la prospérité : Durant les périodes de croissance et d’expansion économique « saine » (c’est-à-dire sans sérieux problèmes d’inflation ou de déflation), les entreprises peuvent se développer rapidement et dégager de bons résultats : dans ce contexte les marchés actions connaissent généralement de puissants rallyes.
- Le cash et les récessions : Ici, l’idée générale est que les périodes de récession sont souvent (bien que pas toujours) associées à une faible offre de monnaie. Il est donc important de garder une partie du portefeuille liquide pour servir de « coussin » durant ces périodes ; et le véhicule idéal pour cela selon Browne sont les bons du trésor américains de courte échéance (T-Bills).
- L’or et l’inflation : La partie en or du portefeuille permanent est utilisée pour préserver le portefeuille durant les périodes de forte inflation. Durant ces périodes, les investisseurs tendent généralement à échanger leur cash contre des actifs « réels » comme les métaux précieux ce qui peut pousser leur prix de manière importante.
- Les Obligations et la déflation : Durant les périodes de déflation, les prix baissent et les taux d’intérêts baissent également. Cette baisse des taux rend les obligations anciennement émises plus demandées que les obligations nouvellement émises, qui proposent des taux plus faibles. Plus la duration de l’obligation est longue, plus cet effet se fait ressentir, les obligations de long terme sont donc recherchées pour cette partie du portefeuille (20-30 ans).
Voilà pour les rappels des principes théoriques qui sont derrière le PP.
Pour ce qui est des performances historiques, je vous renvoie à mon article original, mais le résultat est une stratégie très stable qui a rarement perdu plus de 5%, même durant les conditions économiques les plus difficiles.
Les performances du portefeuille permanent en 2022
Voici les performances du Portefeuille Permanent en 2022 en bleu :
Et les statistiques détaillées ici :
En présentant les chiffres comparés au S&P 500 (-24% à fin octobre), les choses peuvent ne pas sembler dramatiques, mais pour rappel un des arguments majeurs du PP et de n’avoir fait aucune année en dessous de 10%.
Et si nous ne sommes pas encore fin décembre (le portefeuille a encore 3 mois pour tenter une remontée héroïque), 2022 marque déjà une de ses pires chutes historiques.
Alors que s’est-il passé?
Que s’est-il-passé? (le PP dans la tempête)
Quand vous appliquez une stratégie d’investissement, il est très important de bien comprendre sur quels principes fondamentaux elle se base, et d’en maitriser les tenants et les aboutissants. Ici pour rappel, chaque classe d’actif a un rôle à jouer dans un environnement économique particulier.
Dans l’environnement actuel nous avons :
- Une croissance faible (ce qui n’est pas très bon pour les actions)
- Une inflation forte (ce qui n’est pas bon pour les obligations)
Partant de cela, les deux premiers piliers du portefeuille (les actions et les obligations) sont déjà sérieusement entamés (et le cash n’est pas un refuge, comme l’inflation est haute)… ce qui ne laisse que le dernier pilier pour « tirer » le portefeuille : les matières premières.
Ici une différence de choix mineure pouvait faire une grosse différence. Le portefeuille permanent « original » de Brown se base sur les métaux précieux pour la poche matières premières.
Le problème ici, c’est que voici le cours de l’or cette année :
De l’or qui ne monte pas dans un contexte inflationniste? Comment est-ce possible?
Il faut savoir une chose : la plupart des trackers et fonds sur le cours de l’or sont indexés sur l’or en dollars (parce que c’est en général la monnaie de référence internationale). Pensez donc au cours de l’or comme une devise, qui serait libellée « Once d’or/USD ».
Pour cette raison, le cours de l’once d’or a tendance à bouger dans un sens inverse à celui du dollar. Quand le dollar monte fortement (comme cette année), c’est quelque chose de négatif pour le Gold. Voyez plutôt sur le cours de l’or exprimé en Euros :
Le mouvement du dollar en 2022 n’a donc pas arrangé les performances de la poche « métaux ».
Mais surtout l’essentiel de la hausse coté matière premières s’est orienté sur les produits pétroliers, ce qui fait qu’un portefeuille qui aurait ajouté un tracker « matières premières » (plutôt que seulement métaux ici) aurait mieux performé.
Le portefeuille permanent est-il « cassé »?
Non. Chaque classe d’actif a continué de se comporter grosso modo comme la théorie économique qui sous tend le portefeuille le dictait. 2022 était juste une tempête parfaite de facteurs pour plonger ces portefeuilles dans la tourmente.
C’est ici une leçon importante à garder en tête pour tous les autres types de stratégies boursières. Ce qui se passe sur le portefeuille permanent cette année n’est pas « dramatique », dans le sens où le PP reste une stratégie défensive, qui a toujours fait mieux que le S&P ici.
Cependant, c’est un bon rappel ici de 3 éléments cruciaux en finance.
3 leçons à retenir de la chute du PP
1/ Les performances passées ne préjugent pas des performances futures
Vous comprenez ici pourquoi cette phrase figure sur l’ensemble des prospectus financiers de l’univers. Le fait qu’une stratégie ait réalisé une perte « maximum » de 2% sur les 50 dernières années ne veut pas dire que la perte maximum sera de 2% sur les 50 prochaines.
De même une stratégie qui a rapporté 100% l’an dernier ne veut pas dire qu’elle rapportera encore 100% l’an prochain. Pour savoir si une stratégie est robuste ou non, vous devez toujours « plonger sous le capot » de la stratégie utilisée, et en comprendre tous les tenants et aboutissants.
2/ Supposez que votre plus grosse perte est toujours devant vous
Dans le monde de la finance « professionnel » (entre guillemets), nous avons l’habitude de « stresser » un modèle avant de l’utiliser. C’est à dire que nous faisons varier différents paramètres pour voir comment le portefeuille se comporte si dans le futur, tout ne se passe pas comme dans le passé.
C’est souvent une des différences clés avec les stratégies « miracles » que vous pourrez trouver sur le web. En général, les stratégies qui vous promettent du « +100% par an sans efforts« , ne sont pas forcement 100% mensongères. Simplement elles ont tendance à « casser » au premier stress venu.
Ce n’est pas toujours le cas, mais vous pouvez raisonnablement supposer (en guise de raccourci) que les rendements d’une stratégie sont le plus souvent inversement proportionnels à sa robustesse.
Ici, considérant que quasiment tous les éléments économiques sont en défaveur du PP, et que celui-ci arrive toujours à faire « mieux » que l’indice S&P 500 sur l’année : c’est plutôt un argument supplémentaire en faveur de la solidité de la stratégie.
3/ Comprenez les forces et les faiblesse de l’approche que vous utilisez
Si vous jouez à des jeux de stratégie (qui ont souvent beaucoup de points communs avec la bourse), vous saurez sans doute qu’en règle générale, aucune stratégie ne marche 100% du temps (sans quoi tout le monde l’utiliserait, et elle ne marcherait plus).
Chaque stratégie est favorisée dans un environnement particulier, et si vous pouvez comprendre en profondeur les éléments qui font que votre stratégie a le vent dans le dos (ou contre elle), vous serez bien moins surpris de ses performances (et vous aurez moins de chances de paniquer).
Conclusion
Si vous avez mis en place une stratégie de « portefeuille permanent« , rassurez vous elle n’est pas « cassée » (du moins pas à mon sens ici). 2022 était juste une tempête parfaite de facteurs qui ont fait grimper les corrélations entre chaque classe d’actifs.
La situation devrait se normaliser par la suite. Et pour le moment, le portefeuille a toujours mieux tenu que l’indice, il a donc (malgré la tourmente) tenu sa promesse initiale de réduire la volatilité.
Cela dit on peut comprendre qu’il soit décevant de connaitre une baisse à 2 chiffres cette année (surtout dans un contexte où il était possible de faire mieux en restant 100% actions).
Cependant, ce qui se passe ici sur le PP est une leçon à retenir que nous pouvons étendre à beaucoup d’autres stratégies. Les années comme celles-ci sont souvent celles qui viennent « casser » les modèles moins robustes que le PP. Surtout ceux utilisant du levier.
Philippe says
Pour ma part en allocation d’actifs, je vais au plus simple. 1/3 Crowfunding, 1/3 SCPI et 1/3 actions (au travers d’etf dont des smart beta et quelques actions). C’est un peu mon portefeuille permanent d’HB mais avec mes convictions et mon aversion aux risques. Je croise les doigts, pour l’instant il se comporte très bien. malgré la chute des marchés. Le plus difficile c’est de réinvestir les dividendes du crowfunding et des SCPI dans les actions quand le marché chute afin de respecter ma répartition.