La majorité des investisseurs ne comprennent pas très bien à quoi servent les dividendes en bourse (ni leur mode de fonctionnement).
Dans cet article, je voudrais revenir sur une idée reçue concernant les dividendes, et sur une série d’arguments très utilisée (souvent par les investisseurs de croissance ou les traders), pour « taper » sur les investisseurs de rendement. Il y a en général 3 profils que vous rencontrerez :
- Le profil « débutant« , qui pense que les dividendes sont une sorte de bonus gratuit distribué par les entreprises (ce qui est faux).
- Le profil « intermédiaire« , qui réalise que le dividende est en fait « détaché » du cours de l’action, et qui en déduit que les dividendes « ne servent à rien » (ce qui est faux aussi).
- Le profil « avancé » qui comprend exactement pourquoi une entreprise paie (ou non) un dividende (et comme nous allons le voir ici, le sujet est plus complexe qu’on ne peut le penser).
La plupart des gens sont bloqués au stade « intermédiaire », et utilisent cet argument pour dire que les dividendes « sont inutiles » en bourse (ce sont aussi ceux qui sont les plus intimement convaincus qu’ils ont raison, ce qui est à mon sens un cas classique d’effet Dunning-Kruger).
Mon but avec cet article, c’est de vous faire passer directement au stade avancé.
A quoi servent les dividendes en bourse?
Commençons par le commencement, en rappelant quel est le but initial de toute entreprise : faire des profits.
Pour les entreprises qui atteignent avec succès cet objectif (c’est loin d’être le cas de toutes celles cotées), celles-ci se retrouvent alors assises sur une grosse pile de cash, dont elles doivent ensuite décider quoi faire.
Si vous êtes une entreprise à succès, vous avez généralement deux options :
- Réinvestir les bénéfices générés (pour croitre plus vite)
- Distribuer les bénéfices générés (sous forme de dividendes ou de rachats d’actions)
Beaucoup d’investisseurs partent alors du principe que distribuer un dividende constituerait une sorte « d’opportunité manquée » pour l’entreprise de réinvestir dans sa propre croissance (option qui rapporterait plus d’argent à l’entreprise et aux actionnaires).
(Et qu’en plus, cela ne sert à rien pour les investisseurs car le dividende est « détaché » du cours de l’action, pour plus d’infos à ce sujet n’hésitez pas à relire mon article sur le détail des mécanismes d’un versement de dividendes).
Après tout, cela semble logique non? Comment une entreprise qui ne réinvestit pas ses bénéfices pourrait concurrencer une entreprise qui réinvestit tout le cash généré sur elle même?
Le problème ici, c’est que l’idée initiale « d’opportunité manquée » est complètement fausse, et que les choses sont en fait bien plus compliquées que cela.
Les grosses entreprises sont loin d’être bêtes, et si elles choisissent de distribuer plutôt que d’investir, c’est qu’elles ont la plupart du temps de bonnes raisons de le faire. Voyons cela dans la suite.
Rentabiliser au mieux son cash (ce n’est pas simple)
Reprenons l’exemple ci-dessus. Supposons que vous soyez une entreprise qui a généré de gros bénéfices l’an dernier.
Il faut s’avoir qu’usuellement, les investisseurs n’aiment pas les entreprises qui restent assises sur des piles de cash importantes. Car le cash ne rapporte rien (il se fait simplement dévorer par l’inflation), et que la plupart des investisseurs apprécient une entreprise qui maximise la rentabilité qu’elle est capable de générer.

La logique serait donc de l’investir. Soit en recherche et développement (pour créer de nouveaux produits), soit en marketing, ou dans tout autre secteur pouvant maximiser au mieux la rentabilité. Le problème, c’est que l’entreprise doit être capable de réinvestir ce cash à un taux supérieur à son ROE (return on equity).
Pourquoi? Illustrons cela avec un exemple simple. Imaginez une entreprise qui croit en moyenne de 10% par an (et qui a généré une pile de cash toute fraiche qu’elle doit mettre au travail). Elle a le choix entre 2 options :
- 1/ Le projet de R&D numéro 1 lui rapportera (selon ses estimations) 8% par an
- 2/ Une distribution du cash généré à ses actionnaires
Si l’entreprise choisit le projet numéro 1, elle fait en fait perdre de la rentabilité à ses actionnaires, car le projet à 8% offre une rentabilité inférieure à son ROE de 10%. Pour que le réinvestissement soit rentable, il faut donc que les nouveaux projets aient un taux de rendement supérieur à son ROE (pour plus d’infos à ce sujet, n’hésitez par à lire en complément le très bon article de transactionbourse « dividendes vs rachats d’actions« ).
Et le problème, c’est que cela n’est pas toujours facile à faire.
Investir ou distribuer des dividendes?
Constatant que la question des réinvestissements (ou non) était délicate en bourse, de nombreux papiers de recherche ont décidé d’étudier quelles entreprises sont les plus profitables? Les entreprises qui réinvestissent le plus? Ou celles qui distribuent le plus?
Intuitivement la plupart des investisseurs se disent « celles qui réinvestissent le plus« , car ils ignorent les difficultés à rentabiliser leur cash que peuvent rencontrer les grosses sociétés.
Seulement, les données nous disent exactement l’inverse : les entreprises qui réinvestissent le plus sont celles qui ont (en moyenne) les plus faibles rendements.
Ces résultats ont été confirmés par plusieurs papiers de recherche, entre autres (parmi les plus clairs à ce sujet), le papier intitulé « Capital investment and stock returns » de Titman, Wei et Xie, donc voici un extrait :

« Les firmes qui dépensent le plus en capital investissement en proportion de leurs ventes et de leurs actifs totaux ont tendance à avoir des rendements ajustés négatifs par rapport à leur indice de référence » Titman, Wei, Xie
A noter ici que l’explication proposée est que les firmes qui ont les montants d’investissement les plus élevés « tendent à surinvestir« , ce qui renvoie à l’idée d’une mauvaise utilisation du cash généré évoquée dans le point précédent.
Si vous n’êtes pas convaincu par ce seul papier, en voici un autre, cette fois ci d’Eugene Fama (prix nobel d’économie) et Kenneth French, qui ont décidé de réviser leur modèle de référence pour y inclure le facteur « investissement » lorsqu’ils ont réalisé à quel point cette variable avait un impact significatif sur les rendements :

« Dans tous les échantillons étudiés, les rendements moyens des portefeuilles placés dans le quintile d’investissement le plus bas sont bien plus hauts que les rendements des portefeuilles placés dans le quintile d’investissement le plus haut. » Fama/French
Difficile d’avoir meilleure source qu’un prix nobel d’économie, et comme vous le voyez ici : réinvestir massivement est loin d’être la meilleure option. En fait, c’est plutôt l’inverse (ce qui nous donne déjà quelques éléments solides pour expliquer à quoi servent les dividendes en bourse : tout d’abord, à ne pas gaspiller le cash généré).
Raisons et explications potentielles
Beaucoup de pistes ont été explorées pour tenter d’expliquer pourquoi cette relation négative entre investissements et rendements existait.
Il s’avère que pour beaucoup d’entreprises, il peut être difficile de répliquer l’avantage comparatif qu’elles ont réussi à développer sur un produit ou service spécifique, et de le transposer à d’autres secteurs (avec un taux de rentabilité égal ou plus élevé).
Un exemple concret : si Coca Cola décidait de développer un nouveau soda « révolutionnaire », il aurait peut être une rentabilité inférieure à l’option de simplement continuer à vendre une énième variante de Coca. Parce que Coca est Coca, et qu’on ne peut pas « simplement » arriver aux ventes et au « pricing power » du produit avec de l’eau gazeuse sucrée.
Autre explication : les faibles dépenses peuvent aussi être indicatives d’un secteur générant un très haut ROE avec une faible intensité capitalistique (les business préférés d’investisseurs tels que Warren Buffett). Pensez par exemple aux secteurs (certes controversés) du tabac ou de l’alcool : vous n’avez pas besoin d’une grosse R&D pour être rentable.
Quelle que soit l’explication avancée, tout cela nous dit que ceux qui pensent que faire le choix de distribuer le cash est « stupide » font fausse route : parfois (souvent), quand vous êtes une grosse société : il s’agit tout simplement de la meilleure option disponible.
Conclusion
Les dividendes ne sont pas « bons ou mauvais » en bourse. Et des réinvestissement plus élevés ne sont pas synonymes de rendements plus élevés (au contraire).
Historiquement, la majorité des entreprises échouent spectaculairement à utiliser leur cash de manière efficace, et feraient mieux de le distribuer sous forme de dividendes ou de buybacks (notre vision récente est biaisée par une minorité de « techs » qui ont réussi à faire cela avec talent, mais c’est loin d’être le cas pour la majorité des sociétés).
Le vrai débat ici n’est donc pas sur le sujet de savoir si les entreprises qui paient des dividendes sont meilleures ou non, mais de comprendre pourquoi elles le font, et si elles prennent les meilleures décisions possibles avec le cash qu’elles génèrent.
Bonjour,
Merci pour vos articles.
Je ne comprends toujours pas la pertinence d’un screening basé sur les dividendes et je ne trouve en réalité aucune réponse convaincante de la part de ceux qui prônent les actions à dividendes.
Puisque le dividende est bien détaché du prix, en quoi une entreprise qui paie un dividende serait-elle meilleure qu’une entreprise qui n’en verse pas ? La performance dividende + plus-value latente est identique.
Pour celui qui veut toucher du cash chaque année, autant investir dans une entreprise peut-être plus performante sur la base de critères plus fondamentaux (croissance du CA, marge, etc.) et vendre quelques actions chaque année. Même une entreprise peu performante pourrait verser un dividende.
Par ailleurs, les dividendes sont immédiatement fiscalisés
Bonjour Franck,
Le propos ici est que les sociétés qui ont mis en place une forme de distribution tendent (en moyenne) à faire une utilisation de leur cash plus efficace que celles qui ne paient rien (ce qui débouche sur des rendements totaux plus élevés in fine pour l’investisseur).
Un investisseur a donc plus de chances d’avoir des retours élevés en intégrant ce critère dans ses screeners qu’en ne l’intégrant pas.
Évidemment, ce n’est pas une raison valide ici pour que ce critère soit le seul sur lequel se baser pour l’ensemble de son processus d’investissement (aucun screener ne devrait se baser sur un critère unique).
Pour ce qui est des arguments convaincants : ils sont donnés dans le point 3. Pas de distribs = retours moyens inférieurs à celles qui distribuent (d’ailleurs beaucoup l’oublient, mais la politique de dividende de l’entreprise était aussi un des critères de sélection de Ben Graham) ;
Cdt
Merci beaucoup pour la réponse.
Si je comprends bien, l’idée sous-jacente à la stratégie « actions à dividendes » c’est une corrélation empirique entre performances financières et dividendes.
Le profil intermédiaire est donc dans le juste, au sens où effectivement, l’actionnaire ne s’enrichit pas lorsqu’un dividende lui est versé, mais, si je vous suis, il a tort de ne s’arrêter qu’à ça au sens où la capacité à verser un dividende est le signal d’une entreprise qui se porte(ra) bien et qui devrait performer dans le futur ?
C’est tout de même se priver de beaucoup d’entreprises à forte croissance, mais probablement un bon moyen pour identifier des entreprises résilientes (mais à potentiel de croissance probablement plus restreint)
Bonjour Franck,
En effet, l’idée générale est que cela peut être un facteur intéressant (et utile) à intégrer dans un screener (pas forcément parce que payer un coupon est un « bonus » mais parce que cela peut indirectement nous dire des choses intéressantes sur l’entreprise, sa qualité, et l’utilisation qu’elle fait de son cash).
Pour ce qui est de la croissance, il y a de tout parmi les payeurs de dividendes. On peut par exemple citer visa ou mastercard comme exemples de valeurs à dividende de croissance. Et Total ou Altria comme exemples de valeurs à dividendes de rendement ; Cdt
Bonjour Pierre,
Merci pour ce nouvel article détaillé et avec des sources 👍🏼.
Merci Gael 😉
Bonjour,
Vous écrivez « la majorité des entreprises échouent spectaculairement à utiliser leur cash de manière efficace, et feraient mieux de le distribuer sous forme de dividendes ou de buybacks ».
Parlons du rachat d’actions justement. On dirait que vous ne lui accordez pas la même importance que la distribution de dividendes. Pourtant, le rachat d’action est aussi des liquidités versées par l’entreprise et qui profitent aux actionnaires, seulement sous une forme différente, moins palpable. Le rachat d’actions augmente mécaniquement le revenu par action, ce qui diminue le P/E et devrait, dans un marché « logique », faire monter le prix de l’action.
Quelle différence faut-il voir dans ces deux modes de rémunération de l’actionnaire ?
Bonjour Vincent,
En ce qui concerne le sujet des rachats d’action, il y a un renvoi dans la partie 2 vers un article de transaction bourse spécialement dédié au sujet (dividendes vs rachats).
Comme le sujet y ait traité très exhaustivement, j’ai préféré y faire un renvoi plutôt que de répéter ce qui y est dit. De plus le thème de cet article étant « à quoi servent les dividendes? », j’ai préféré rester concentré sur mon sujet (les buybacks rajoutant une couche de complexité qui mériterait probablement un autre développement de 2000 mots) ;
Bien Cordialement