Vous êtes sans doute au courant vu le battage médiatique qu’il y a eu sur le sujet cette semaine : le cours du Bitcoin a dépassé pour la première fois les 10 000 dollars.
Et si ce point est certainement une bonne nouvelle pour les spéculateurs en cryptos, j’ai remarqué que loin d’accueillir la nouvelle avec joie, la plupart de ceux que je connais l’ont paradoxalement reçue avec agitation et nervosité. Chose qui m’a inspiré la rédaction de cet article.
Il s’avère en effet que la plupart des spéculateurs en crypto que je connais sont (légitimement) très anxieux à l’idée qu’un retournement de marché ne puisse leur faire perdre leurs (désormais) gros profits. Et cela renvoie à un des problèmes fondamentaux de la spéculation : le fait que dans l’absolu, on a rien gagné tant que l’on a pas vendu.
Les profits que l’on voit danser chaque jour sur notre compte ne sont que virtuels tant que la position n’est pas clôturée, et on se retrouve alors chaque jour à se poser la fatidique question « Est-ce que je dois vendre?« .
Cela peut sembler paradoxal que l’on se sente psychologiquement mal à l’aise alors que l’on gagne théoriquement de l’argent, mais il faut savoir que ce malaise psychologique du spéculateur est en fait un phénomène largement documenté, et qu’il conduit très souvent à prendre de mauvaises décisions (et à donc à perdre de l’argent).
Aussi j’ai décidé de consacrer un article à ce phénomène, et à expliquer comment il est possible de le contourner.
Composer avec l’incertitude
Acheter des actifs financiers dans un objectif de spéculation conduit à devoir prendre des décisions complexes rapidement, et les conséquences d’une erreur de jugement (ou d’un simple coup de malchance) peuvent être très importantes (et financièrement douloureuses). Cette situation ne manque pas de soumettre les spéculateurs à un haut niveau de stress psychologique.
Hors, ce stress, en plus d’être inconfortable au quotidien (et d’aller à l’encontre de nos objectifs, car on investit pour avoir une vie meilleure et pas pour s’empoisonner l’existence) conduit souvent à faire des erreurs. C’est un des facteurs qui pousse Warren Buffett à souvent répéter que « l’investissement n’est pas un jeu où celui qui a 150 de QI bat celui qui a 120 de QI » mais plutôt un jeu de nerfs et de caractère.
L’impact énorme de la psychologie des opérateurs sur les prix et sur leurs résultats finaux en temps qu’investisseurs est en fait tellement important en finance qu’une branche académique entière lui est consacrée : la « finance comportementale » (vous vous demandez peut être où est-ce que je vais avec ces digressions, mais nous y arrivons).
La finance comportementale a démontré que la plupart des investisseurs ont tendance à se tirer une balle dans le pied au niveau de leurs résultats d’investissements en passant leurs ordres d’achats et de ventes au pire moment.
Un exemple : un des biais les plus courants révélés par la finance comportementale est que la majorité des investisseurs ont tendance à vendre trop tôt les investissements qui leur ont rapporté un profit, et à conserver trop longtemps les investissements perdants « dans l’espoir de se refaire ».
Peut être avec vous vu cette fameuse phrase dans la presse financière récemment :
Si vous aviez investi dans le Bitcoin en 2011, vous auriez 100 millions d’euros!
C’est une chose que les médias (et les courtiers en cryptodevises) aiment nous rappeler régulièrement (il se passe rarement un jour sans que je ne voie ce genre d’intitulé me passer sous les yeux en ce moment), seulement ils négligent une chose importante : dans les faits pratiquement personne n’est capable psychologiquement de « surfer » un tel mouvement.
Dites moi en toute honnêteté : connaissez-vous une seule personne ayant acheté ses Bitcoins à 1 dollar et les ayant conservé jusqu’à 10 000? Ou même les ayant acheté à 100 et conservé jusqu’à 10 000? (n’hésitez pas à me le dire dans les commentaires).
J’en doute fortement, pour une raison très simple : dans les faits, la plupart des investisseurs sont heureux si ils arrivent à multiplier leur capital ne serait-ce que par 2 ou par 3 et ils revendent toujours leurs positions gagnantes bien trop tôt.
En fait il y a un large panel de recherches académiques ayant étudié ce biais psychologique à tel point qu’il est considéré comme le plus constant de tous les biais que l’on ait retrouvé chez les investisseurs. Il est surnommé « effet de disposition », et désigne la propension de la majorité des intervenants en bourse à conserver leurs positions perdantes trop longtemps et à revendre celles qui leur ont rapporté un profit trop tôt.
Il est donc établi que si vendre à pertes est émotionnellement difficile, laisser ses gains courir l’est tout autant.
La pression psychologique ressentie à l’idée de perdre ce que l’on a gagné pousse la grande majorité des gens à faire des erreurs. Il y a même un proverbe très connu à Wall Street traduisant ce biais qui est que « personne n’est jamais devenu pauvre en prenant ses profits« . Ce à quoi le plus grand trader de l’histoire Jesse Livermore rétorquait « personne n’est jamais devenu riche non plus en prenant 20 dollars de profits en plein marché haussier« . Bref.
L’idée est qu’en temps qu’investisseur ou spéculateur, on a tendance à vendre au mauvais moment et qu’il nous faut un système efficace pour lutter contre nos (mauvaises) tendances naturelles.
Lutter contre sa nature : l’importance du cashflow
Sur ce site, je conseille régulièrement d’investir dans des actifs qui paient une cashflow régulier (loyers ou dividendes par exemple). Et il y a une raison mathématique au fait de donner la priorité à ce genre d’investissements (qui est que réinvestir les paiements reçus fait gagner beaucoup d’argent grâce aux intérêts composés).
Mais il y a aussi une raison psychologique fondamentale derrière cela.
Recevoir des paiements réguliers aide à lutter contre le fameux « effet de disposition » évoqué plus haut et vous pousse à réfléchir à deux fois avant de vendre un actif qui vous verse des paiements importants et réguliers.
Par exemple, j’avais parlé de l’action Shell dans une article précédent. Shell me paie 7% de rendement et ses dividendes sont versés tous les 3 mois, ce qui rend la position extrêmement facile à tenir psychologiquement. En immobilier, voir arriver les chèques des loyers chaque mois rend également les appartements très faciles à conserver (vous connaissez beaucoup d’investisseurs immobiliers qui consultent la cote de leur appartement tous les jours en se demandant si ils devraient le vendre?). Moi pas, mais je ne peux pas en dire autant des investisseurs en Bitcoin.
Avoir un horizon d’investissement à long terme et investir dans des actifs qui paient bien permet donc de retirer une question anxiogène que se posent la plupart des spéculateurs chaque jour : quand vendre? La réponse quand on est investisseur à long terme est par défaut : jamais (si vous avez bien fait les choses initialement).
Ou comme le dit Warren Buffett « Notre horizon d’investissement par défaut est « pour toujours« . Pourquoi? Parce ce que tant que votre investissement continue à vous payer des revenus confortables, dans l’absolu il n’y a aucune raison de s’en débarrasser.
Si vous investissez dans un actif qui vous verse des paiements réguliers et que vous investissez pour le cashflow, vous vous enlevez déjà une pression énorme. Et vous minimisez le nombre de décisions difficiles que vous aurez à prendre. Vous réduisez donc naturellement vos chances de faire des erreurs.
Pour conclure
Ne sous estimez pas l’impact qu’aura votre propre psychologie sur vos résultats en investissement, c’est un facteur essentiel qui compte au moins autant que les méthodes que vous utilisez.
J’ai pris l’exemple du Bitcoin mais j’aurais pu prendre l’exemple d’autres actifs souvent détenus pour des raisons spéculatives : l’or, le pétrole ou les valeurs de croissance, par exemple. En détenant ce genre de positions vous serez naturellement plus enclin à vous poser la fatidique question : quand est-ce que je dois vendre? Et à faire des erreurs.
Il y a des moyens de contourner cela bien sur. En jouant sur la taille de ses positions par exemple. Ou en utilisant des ordres de vente « stop ». Néanmoins cela demande toujours d’avoir la discipline d’appuyer sur le bouton pour respecter sa stratégie, et l’histoire a prouvé qu’en règle générale, nous ne sommes pas très bons à ce jeu là.
Pour citer une dernière fois Buffett : plus que d’être extrêmement compétent, l’important est avant tout de savoir reconnaitre ses propres limites, et de mettre en place des garde-fous efficaces.
Artefact65 says
Bonjour,
J’apprécie toujours de lire vos articles très clairement rédigés et qui contribuent à renforcer ma formation (toujours continue…..).
En l’occurence je partage ici votre point de vue sur la préférence d’investir sur le long terme dans des actions à dividendes. Cependant une question se pose à un moment où à un autre : si la plus-value du titre à un moment t équivaut à plusieurs années (5 – 10) du montant total des dividendes prévisibles sur cette période, dans l’absolu, vaut-il mieux tout de même conserver le titre ou bien le vendre pour assurer le gain ?
Merci de me faire partager votre éclairage sur cette question.
Cordialement.
Pierre says
Bonjour,
Il peut y avoir des exceptions mais en règle générale je ne vends jamais une société parce qu’elle est « trop montée ».
Ceci pour plusieurs raisons : cela entrave le processus de composition des intérêts, cela entrave également l’augmentation du rendement sur coût de la ligne de titres concernée, et si le compte est taxable je vais être imposé sur mes plus values.
De plus si une société monte significativement c’est que c’est probablement une très bonne société du coup je n’ai pas de raison particulière de la vendre (plusieurs de mes lignes de titres affichent actuellement des profits latents équivalent à 5 ou 10 ans de dividendes) ;
Cdt
Artefact65 says
Bonjour,
Vos trois arguments contre la vente de telles actions sont logiques,
et m’ont parfaitement convaincu de ne pas vendre.
Jusqu’à présent, ne sachant trop quelle décision prendre, je vendais la moitié
de la position, pour tenter d’avoir le meilleur des deux mondes.
Mais désormais je vais suivre votre recommandation qui
est beaucoup plus rationnelle.
Un grand merci pour votre éclairage.
Cordialement.
Francois says
Personnellement je trouve que le Bitcoins est juste un retour aux sources. Durant le moyen age les villes pouvaient battre monnaie puis les états centralisèrent la production afin d’éviter la concurrence entre les monnaie et puis pour stabiliser les prix. Maintenant grâce à l informatique de « simples citoyens » (je pèse mes mots car faut quand même être très fort en informatique) peuvent à leur tour créée leur propre monnaie c’est juste un recommencement
Pierre says
C’est sur que cela enlève du pouvoir aux états et aux banques, mais du coup je pense qu’il ne faut pas trop se leurrer : si jamais les cryptodevises et le bitcoin venaient à prendre trop d’importance, les états s’arrangeraient surement pour réguler la chose plus efficacement (en contrôlant les plateformes d’échange ou de manière plus extrême en interdisant simplement leur conversion en euros ou en dollars par exemple). Même si on ne peut pas directement interdire la devise, la régulation peut intervenir à plusieurs niveaux différents.
Francois says
Oui certes il tenterait de réguler les crypto monnaies mais je pense que ce serait également un danger car si ils font cela les crypto monnaies risquent de s’effondrer et si les banques on investit dedans, il faudra de nouveau mettrent la main a la poche pour les sauver
Pierre says
Les banques et les investisseurs institutionnels sont actuellement très peu investis dans les cryptodevises en général, donc cela aurait peu ou pas d’impact sur eux et ne représenterait pas une menace pour leur stabilité financière. En revanche pour les particuliers qui ont placé une grande partie de leur épargne dedans c’est une autre histoire…
Après personne n’a de boule de cristal donc il faudra suivre comment les choses évoluent au jour le jour.
Olivier de epargnersanssepriver.com says
Merci Pierre pour la qualité de tes articles.
L’important est donc de choisir minutieusement les actions dans lesquelles ont va investir car on va les garder longtemps.
Mais dans le cas du bitcoin, il n’y a pas de dividendes non? Alors on ne devrait jamais investir dans les placements qui n’offrent pas de dividendes?
A+
Pierre says
Pas forcement jamais mais disons simplement que pour tout ce qui est spéculatif il vaut mieux y consacrer une part extrêmement minime de son patrimoine total, et placer l’essentiel sur des stratégies ou des actifs qui sont beaucoup plus sûrs.
Sylvain Saurel says
La Blockchain et les crypto monnaies qui s’appuie dessus répondent à des problématiques bien réelles. Le problème vient de la folie spéculative qui s’est emparée de l’univers des crypto en 2017. Afin d’éviter le stress du day trading, il paraît plus opportun de choisir avec soin des Altcoins couvrant des domaines à fort potentiel pour le futur (Ethereum avec ses Smart Contracts, Steemit pour le partage de contenus via la Blockchain, Ripple qui vise à remplacer le système de paiement interbancaire SWIFT, …) et ensuite de tenir ses positions sur du moyen terme.
Olivier says
On a vue dernièrement une grande correction qui selon moi été plus que nécessaire. Il va falloir attendre l’aplatissement du cadre réglementaire pour rassurer les investisseurs et voir de nouveaux entrants, mais les choses avancent à grands pas !