Quand je dis que j’investis en bourse principalement pour les dividendes, il n’est pas rare que je reçoive des critiques sur cette approche.
Et si la majorité d’entre elles sont infondées (comme le fait que les dividendes ne servent à rien), il y a aussi des questionnements qui appellent des réponses légitimes. Par exemple « Pourquoi investir pour toucher 3% de rendement, quand il y a des actions de croissance qui font 120% à l’année? »
Dans cet article, je vais essayer de revenir sur quelques uns des points qui expliquent pourquoi je fais ce que je fais, et tout commence ici il y a 10 ans quand j’essayais d’établir les bases d’une stratégie d’investissement rentable au sortir de ce que nous appelions à l’époque « la décennie perdue« .
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La machine à imprimer les billets de 2010-2020
Si vous avez commencé à vous intéresser à la bourse il y a peu, vous avez peut être pu constater que récemment, les marchés ressemblent à ceci :
En fait, depuis 2010, les bourses sont basiquement devenues une sorte de machine à imprimer de l’argent, au même titre que beaucoup d’autres secteurs spéculatifs, encouragés par l’environnement de taux faibles, et les excès monétaires des banques centrales.
Cela peut facilement tromper les nouveaux investisseurs en leur laissant penser que la bourse est « facile« , et ne fait que monter. C’est une illusion. Ces derniers temps gagner de l’argent en bourse a été inhabituellement simple (surtout par rapport à la décennie précédente).
La décennie perdue (mes débuts boursiers)
A la période à laquelle j’ai commencé à m’intéresser aux marchés boursiers, les performances à 10 ans des actions ressemblaient plutôt à ceci :
Durant cette période, j’ai fais 2 constats importants :
1/ Une bonne sélection d’actions pouvait permettre d’éviter 10 ans de retours boursiers à 0 (les indices étaient à zéro, mais beaucoup d’actions avaient dégagé de bonnes performances ici)
2/ Il fallait pouvoir compter sur autre chose que les hausses de prix pour espérer vivre de la bourse (car 10 ans sans revenus, c’est très long)
Ce qui explique un peu mon style d’investissement. Une approchée basée sur des actions plutôt défensives, qui compte sur le rendement dégagé pour générer un cashflow régulier, et qui remet la sélection de bonnes sociétés au cœur du processus.
Vivre de la bourse pendant un marché baissier majeur
Si vous voulez juste spéculer (ce que je décourage personnellement) ou gagner un peu d’argent à coté de votre travail, essayer de « parier » sur les vagues de hausse/baisse peut être une activité stimulante intellectuellement (bien que pas toujours rémunératrice).
Cependant si vous êtes sérieux à propos du fait de faire de la bourse votre source de revenus principale, vous allez vite vous rendre compte d’une chose : il n’est pas facile de vivre de la bourse pendant une décennie perdue.
Et se retrouver idéalement acheteur pendant les périodes haussières et vendeur pendant les périodes baissières relève plus du fantasme de spéculateur que d’une réalité objective.
En fait, la plupart des professionnels n’y parviennent pas :
Usuellement la plupart des fonds dit « long only » (c’est à dire ceux qui se limitent exclusivement aux achats) ont de meilleures performances que ceux qui essaient de gagner de l’argent à la hausse et à la baisse.
(Car l’espérance de gain à la hausse est simplement meilleure sur de longues périodes. On peut monter de 200, 500, 1000% sur un titre, mais descendre de 100% au maximum).
De ce point de vue : gagner en bourse à la hausse sur le long terme n’est pas forcement très difficile, mais espérer tirer de la bourse un salaire « stable » mois après mois est utopique. Les chances sont que vous aurez de très bonnes périodes, et de très mauvaises périodes.
Sauf si les dividendes entrent en jeu.
Combattre les décennies perdues
Relativement peu de titres ont traversé l’année 2008 sans connaitre de baisse de prix. Si vous étiez un investisseur qui comptait sur les hausses de prix de son portefeuille boursier pour payer les factures, cela vous laissait dans une situation délicate.
- Vous deviez vendre vos actions à des prix toujours plus faibles pour avoir des revenus
- Cela diminuait la taille de votre portefeuille (et donc vos revenus, présents et futurs)
- Cela vous mettait en mauvaise position pour prendre le rebond
Je pourrais ajouter à cela que le genre de valeur qui montait de +100 ou +150% à l’époque (les plus volatiles), se sont également retrouvées coupées en 2, en 3 ou en 4 les premières (j’ai déjà expliqué dans mon article « quand la tortue bat le lièvre » que haute volatilité =/= haut rendement).
Les dividendes : plus stables que les prix
En revanche, il faut savoir qu’en bourse les dividendes ont tendance à être beaucoup plus stables que les prix (tout comme en immobilier, les loyers sont plus stables que les prix/m2) :
Vous pouvez voir ici un léger creux (vite effacé) après la crise de 2008 sur le graphique de droite car il s’agit de l’indice S&P, mais vous pouviez mitiger ce creux voir l’éviter totalement en affinant votre sélection de titres (pas de creux sur les « dividend aristocrats » au niveau revenus, même en 2008).
Si vous étiez un investisseur de rendement orienté dividendes :
- Vous pouviez maintenir vos revenus courants
- Vous n’étiez pas obligé de vendre vos titres avec une décote pour vivre
- Vos actions défensives étaient rarement celles qui étaient coupées en 6 en premier
Plusieurs atouts majeurs donc, qui vont au delà des considérations techniques et fiscales, peuvent pousser un investisseur long terme à s’orienter plutôt vers une stratégie basée sur les dividendes.
Ce que cela nous dit pour 2022 – 2030
En bourse, comme je l’ai expliqué dans d’autres articles, les rendements passés ne sont pas un bon indicateur des rendements futurs. Nous pourrions avoir une autre décennie de hausse (même si les probabilités se réduisent au fur et à mesure que les valorisations grimpent).
… Ou nous pourrions avoir une nouvelle décennie perdue. Ce que nous savons, c’est qu’il y a un lien bien établi entre la valorisation des actions et leurs rendements futurs. Plus les valorisations augmentent, plus grandes sont les chances de vivre une « décennie perdue« .
Qu’est ce que cela veut dire concrètement?
Si vous achetez des titres à 40 fois leurs bénéfices, vous n’aurez pas forcement une chute de 50% sur vos actions. Mais vous augmentez vos chances de mauvais retours boursiers.
Parce que sur du long terme, les prix ne peuvent pas s’éloigner à l’infini des fondamentaux, et il finit toujours par y avoir un retour à la moyenne (soit par une correction importante, soit par une période étendue de rendement « zéro » comme nous avons pu le connaitre sur 2000/2010).
Êtes-vous équipé pour survivre à une décennie perdue?
Beaucoup de gens comptent sur le fait que les bourses dégagent des rendements moyens de 10% par an sur de longues périodes pour se dire qu’il suffit de 200 000 euros placés pour avoir 20 000 euros par an. Le problème ici, c’est de bien définir ce qu’on appelle une « longue période« .
Pouvez vous survivre pendant 10 ans en retirant tous les ans un salaire annuel sur votre compte de bourse alors que celui-ci génère zéro rendement? Pour beaucoup de gens, la réponse est non (mais ils refusent cette éventualité).
Pour espérer survivre dans la durée en tant qu’investisseur à temps plein, ou pour maintenir votre niveau de vie en tant que retraité/investisseur, vous devez être prêt à tous les scénarios, y compris ceux qui sont désagréables (car comme nous l’avons vu dernièrement : ils ne manquent malheureusement pas d’arriver).
Cela ne veut pas dire être catastrophiste, mais cela veut dire être préparé (les dividendes ne sont pas les seules choses permettent de vous protéger d’une décennie perdue. La valorisation est une autre option, en investissant avec la marge de sécurité chère à Benjamin Graham. Opter pour un portefeuille global est aussi une option).
Mais dans ces périodes, les payeurs de dividendes aident à conserver un cashflow (si vous avez choisi des titres aux reins robustes), et sont usuellement moins volatils que les indices.
Conclusion
J’espère avoir pu clarifier ici quelques éléments propres à mon style d’investissement, et qui expliquent que je fais ce que je fais (typiquement que je ne suis pas intéressé par les dernières tendances du moment, et par les valeurs ultra spéculatives).
Si vous êtes sérieux dans votre processus, la bourse est un marathon, pas un sprint, et beaucoup sont ceux qui finissent par abandonner par manque de préparation, ou en sous estimant à quel point les choses peuvent devenir difficiles par moments.
Nous l’avons perdu de vue ces 10 dernières années, mais gardez en tête que les décennies perdues peuvent (et vont) arriver sur les marchés. Plus haut nous sommes, plus de chances il y a qu’elles ne se produisent.
Est-ce que cela veut dire que vous ne devez pas investir? Non, car sur le long terme, il y a difficilement meilleur endroit que les actions pour placer ses économies. Et personne ne sait quand surviendra une décennie perdue avant qu’elle ne se produise.
En revanche, cela veut dire que vous devez être bien préparé, avoir une stratégie qui vous permette de les traverser sans dommages, et toujours garder en tête que 10 ans de hausse à 2 chiffres avec des replis quasi inexistants relèvent de l’anomalie plutôt que de la norme sur les marchés.
Christophe Dumortier says
Merci pour cet article pertinent. Les particuliers pensent effectivement souvent que la Bourse ne fait que monter et que c’est facile. Mais comme vous le montrez, même les « meilleures Bourses du monde » peuvent avoir de longs passages à vide. Si on a besoin de revenus durant ces périodes, les dividendes peuvent tomber à point. Dans le cas contraire il n’y a a priori pas de raison de particulièrement cibler des actions à dividende tant qu’on est dans un processus capitalisant comme avec des ETF capitalisants par exemple, si je ne me trompe. Merci
Pierre says
Bonjour Christophe,
Il y a plusieurs raisons de privilégier les payeurs de dividendes dans le cas d’investissements en actions individuelles (détaillées plus avant ici : https://plus-riche.com/investir-actions-dividendes-croissants ) .
En revanche, dans le cas d’ETFs, la solution la plus fiscalement optimisée (et la moins chère en frais) est généralement la meilleure ; Cdt.
Youngstocker says
Très bel article, qu’il est bien de rappeler surtout en cette année 2021 où on a l’impression que la hausse des actions n’a pas de limite.
Il n’y a que chez vous qu’on lit ce genre d’articles. Il n’y a que chez vous qu’est rappelé l’importance de voir les choses sur du temps long, de ne pas se laisser tromper par les nombreux biais, d’avoir une stratégie éprouvée et de s’y coller, de ne pas oublier de tenir compte de la dimension psychologique quand on investis, etc.
Merci.
Pierre says
Merci à vous pour le retour positif. Nous vivons une époque un peu folle en ce moment (financièrement et socialement). Je pense qu’il est important de toujours prendre du recul autant que possible pour ne pas trop se laisser « happer » par les dernières tendances du moment. 🙂
Pierre Chubin says
Super Article.
Il faudrait juste corriger les « en temps que » par « en tant que » 🙂
Pierre says
C’est corrigé! (malgré mes relectures, des coquilles subsistent parfois toujours ><), merci pour la notification! Cdt
Ben says
Bonjour,
Merci pour cet article vraiment intéressant.
Il y malgré tout quelque chose que j’ai un peu de mal comprendre. Nous sommes bien d’accord, que lorsqu’une entreprise ou un fond verse un dividende, la valeur du court diminue d’autant.
Imaginons 2 ETF, rigoureusement identiques, mais l’un distribue, l’autre capitalise. En admettant que je fasse le choix de l’ETF capitalisant pour me verser une rente, et que je retire systématiquement un montant identique à celui du versement du dividende en fin d’année, la valeur de mon investissement sera rigoureusement la même que si j’avais fait le choix du distribuant n’est-ce pas ?
Par conséquent, pourquoi considérer le dividende comme une protection et une stabilité supplémentaire en temps de crise, puisque la valeur de l’ETF distribuant diminuera exactement de la même manière que celle du capitalisant au moment du versement ?
A partir du moment ou l’on ne retire pas d’avantage que le dividende qui serait réellement versé, je ne vois pas tellement ce que ça change.
Merci beaucoup.
Pierre says
Bonjour Ben,
C’est vrai dans le cas d’un ETF (qui est basiquement un fonds diversifié qui ne discrimine pas en terme de qualité ou de paiements), mais pas dans le cas d’actions individuelles car ce sont deux instruments financiers différents.
Plus d’infos à ce sujet (complexe il est vrai) ici :
https://plus-riche.com/investir-actions-dividendes-croissants
https://plus-riche.com/a-quoi-servent-dividendes
Bien Cordialement
Papa Investisseur says
Il est vrai que je suis plutôt dans la team des « actions à croissance ». Mais ton point de vue dans cet article est intéressant, cela me donne une autre angle de vue sur les actions à dividendes.
Sam says
Bonsoir,
Et du coup qu’elle serait la performance d’un portefeuille dividendes vs sp500 durant cette décennie perdue ?
Merci