L’introduction en bourse de la Française des Jeux a débuté cette semaine (avec une période de souscription allant du 7 au 20 novembre), et cette nouvelle introduction a entrainé de nombreuses questions de mon côté.
Je vous propose donc de traiter dans cet article du sujet des nouvelles introductions en bourse en temps qu’investissement en général, puis de revenir plus en détails sur le cas de la FDJ.
Au programme (entre autres) :
- Investir dans les nouvelles introductions en bourse : piège ou bon plan?
- Quelques statistiques des performances boursières moyennes des IPOs
- Un zoom rapide sur le cas de la FDJ (et ce que l’on sait de la société aujourd’hui)
Table of Contents
Investir dans les nouvelles introductions : piège ou bon plan?
L’idée d’acheter une « pépite » boursière avant tout le monde (si possible lors de son introduction) nous semble toujours séduisante en investissement, car de nombreuses sociétés aujourd’hui extraordinaires auraient pu être achetées seulement quelques euros (/dollars) à l’époque de leur mise sur le marché… si seulement nous avions pu avoir le « nez » de les identifier.

Cependant, l’exemple de ces grands gagnants du passé vient souvent « biaiser » notre perspective et notre jugement lorsqu’il s’agit de faire le choix de participer (ou non) à une nouvelle introduction en bourse.
Le « Biais rétrospectif » (et comment il peut vous faire perdre de l’argent)
Ce qu’on appelle le « biais rétrospectif » est une tendance humaine naturelle qui nous pousse malgré nous à toujours surestimer (rétrospectivement), la prévisibilité de certains évènements (comme celle de gagner beaucoup d’argent sur une nouvelle introduction en bourse par exemple).
Le biais rétrospectif, c’est ce qui nous donne sans cesse l’impression qu’il est si difficile de gagner de l’argent (et de savoir où investir) « en temps réel », alors que les succès d’entreprises comme Amazon ou Google nous semblent (toujours rétrospectivement) si prévisibles.
Ce biais est bien connu dans le milieu de la finance comportementale, car il pousse les investisseurs à faire tout un tas d’erreur (et a naturellement tendance à laisser croire aux débutants que réussir en bourse est plus simple qu’il n’y parait).
Le lien avec les nouvelles introductions en bourse
Dans le cas précis des nouvelles introductions en bourse, ce biais a tendance à nous emmener naturellement à nous concentrer sur l’ampleur des gains potentiels (si seulement nous arrivions à avoir « le bon titre ») plutôt que sur la probabilité réelle de les obtenir.
Un moyen simple de le contourner est de considérer des données statistiques objectives (et de préférence celles disponibles au moment d’investir, et non rétrospectivement bien entendu).
Voyons donc quelques statistiques sur les introductions en bourse au cours de ces dernières années.
Les performances des nouvelles introductions en bourse
Statistiques de performance des nouvelles introductions en bourse sur le marché européen (depuis fin 2015)

Sur les marchés européens au cours des 3 dernières années :
- 95% des nouvelles introductions en bourse ont été perdantes
- 59% ont perdu plus de 40% de leur valeur
- 22% ont perdu plus de 80% de leur valeur
Seules 5% sont donc dans le vert (3 sur 54, le tout au milieu d’un des plus gros marchés haussiers de l’histoire), et 2 sociétés seulement ont réussi à dégager des performances décentes sur la période. Comme vous pouvez le voir, les statistiques récentes des dernières introductions européennes ne sont pas très encourageantes.
Élargissons maintenant quelque peu cette étude et voyons ce qu’il en est sur les marchés américains (et sur une période de temps un peu plus longue).
Statistiques de performance des introductions en bourse sur le marché américain (depuis 1980)
Comme les données précédentes représentent une période de temps un peu courte (seulement 3 ans) et sont portées sur un marché spécifique (l’Europe), observons une autre étude réalisée sur plus de 7000 IPOs (Initial Public Offerings) aux États-Unis entre 1980 et 2016 :

Pour résumer :
- 66% ont obtenu des rendements négatifs
- 80% ont obtenu des performances inférieures à la moyenne du marché
- 1.2% seulement des titres ont obtenu des performances >1000%
Les chances sont donc un peu meilleures qu’en Europe, mais compte tenu des risques plus élevés que la moyenne sur ce type de société, la plupart des investisseurs se lancent en espérant toucher le « saint-graal » de l’IPO (c’est-à-dire les 1% de super gagnants).
Pourtant les statistiques nous montrent qu’il y a environ 98% de chances de ne pas tomber sur un grand gagnant (selon le critère des +1000%), et 80% de chances de tomber soit sur un titre médiocre, soit sur un super perdant (avec une certaine variabilité de ces chiffres en fonction des périodes comme nous avons pu le voir dans le cas de l’Europe).
Tout ceci en gardant en tête que la bourse américaine génère usuellement plus de super gagnants que les bourses européennes (apple, google, facebook, amazon, etcetc).
Comme vous pouvez le voir, les chances de tomber juste ne sont donc pas très élevées (c’est pour cela que beaucoup d’investisseurs américains comparent la chasse aux IPOs gagnantes à une « chasse à la licorne », et que des investisseurs comme Warren Buffett ou Benjamin Graham évitaient usuellement ce genre d’opération).
Espérance de gain moyenne des IPOs
Si vous êtes un investisseur qui opère sur les marchés boursiers depuis longtemps (ou un lecteur de longue date du site), vous êtes sans doute familier avec le fait qu’en bourse une minorité de titres est responsable de la majorité des gains des marchés boursiers.
Dans le cas des IPOs, cette distribution prend des proportions extrêmes avec seulement une très petite minorité de titres gagnants. Cependant un autre facteur intéressant à considérer pour déterminer leur profitabilité est l’espérance de gain moyenne sur les introductions en bourse.
Comme vous le savez sans doute, les rendements moyens des marchés actions se situent autour des 10% par an historiquement.
Le Dr Jay Ritter a donc étudié également les rendements moyens de plus de 1500 IPO sur une durée de détention moyenne de 3 ans depuis le jour de l’ouverture et a déterminé qu’en moyenne, détenir une IPO nous laissait avec 83 centimes pour chaque dollar investi dans une société déjà listée.
Son étude met en avant des possibilités de surperformance à court terme mais une nette sous performance sur le long terme de ce genre de companies (laissant penser selon ses conclusions que la majorité des introductions en bourse se font à des prix trop élevés).
Le problème avec les nouvelles introductions
Peut-être que malgré les statistiques présentées ci-dessus, quelques nouvelles introductions en bourse vous intéressent malgré tout.
Au-delà des problèmes soulevés ici, investir dans les nouvelles introductions présente de nombreux problèmes par rapport à de l’investissement « classique » :
- Un haut degré d’imprévisibilité (difficile, voire impossible de savoir à l’avance qui seront les super gagnants, la plupart des entreprises n’ayant pas encore « fait leur preuve » sur les marchés).
- Des difficultés de valorisation (la plupart des IPOs basent leurs chiffres sur des estimations, ou leur prix d’introduction est « gonflé » par les marketeurs et les vendeurs de rêve).
- Une absence d’historique de publication de résultats (et de graphique boursier pour les partisans de l’analyse technique)
Tous ces facteurs font de l’identification d’IPO à fort potentiel une activité à haut risque… et à relativement faible probabilité de gains comme nous avons pu le voir dans les points précédents (raison pour laquelle je ne m’y risque généralement pas personnellement).
Maintenant que nous avons établi ces bases concernant le sujet de l’investissement dans les nouvelles introductions, penchons-nous un peu plus en détails sur un cas pratique qui nous intéresse cette semaine à travers l’exemple de la française des jeux.
Introduction en bourse de la Française de jeux : quelles sont nos chances ?
Suite aux différentes analyses présentées précédemment, vous aurez sans doute déjà compris que personnellement, je ne suis (par nature), pas un grand amateur d’IPO.
Dans ce point-ci, je ne vais donc pas me livrer à une analyse extrêmement détaillée de la société comme j’ai pu le faire dans certains de mes articles précédents, mais donner 3 points clés qui font que la FDJ n’est (à mon sens) pas forcément un deal extraordinaire (même pour les investisseurs « joueurs » adeptes d’IPO).
Dans le cas de la FDJ nous savons déjà plusieurs choses :
1/ Ce n’est pas une startup
Ce qui veut dire par définition que la société ne se retrouvera probablement pas dans la catégorie des « licornes » qui ont des retours de +1000% par an (ou plus). Ces sociétés sont en effet généralement « disruptives » et révolutionnent leur marché sur au moins un point particulier ce qui leur permet de générer des retours anormaux.
La FDJ est une société de type « cash cow » bien établie depuis des années qui (si elle présente effectivement un modèle addictif pour ses clients) a relativement peu de chance « d’exploser » en bourse à long terme (hors spéculation possible lors de l’introduction).
Au point de vue du rapport risque/rendement : nous prenons tous les risques liés aux IPOs (et leurs 80% de perdants + médiocres performances + valorisations gonflées)… tout en sachant que nous n’aurons probablement pas une licorne ici.
Il existe donc selon moi des deals beaucoup prévisibles et présentant un meilleur rapport risque/rendement sur lesquels s’engager pour un investisseur de long terme.
(N.B : Ceci étant dit, le fait que la société soit déjà bien établie dans son secteur réduit également les chances de se retrouver avec un « super perdant » ici).
2/ La société n’est pas spécialement discountée
Si l’on s’en tient à un simple rapport Prix/Bénéfice, la moyenne de fourchette de valorisation de la FDJ est de 3.5 milliards (environ), et le cours de l’action sera compris entre 16.5 et 19.9 euros à l’introduction ce qui nous donne un prix moyen autour des 20x les bénéfices de la société (contre 17 actuellement pour la moyenne des sociétés du CAC 40).
La société n’est donc pas introduite a une valorisation exceptionnellement attractive par rapport au reste du marché. Au contraire, elle se paierait même un peu cher.
Acheter au bon prix est en effet un des facteurs clés pour espérer gagner sur le long terme sur des valeurs comme la FDJ qui n’offrent pas des perspectives de croissance particulièrement explosives. Ici la valorisation initiale ne nous donne pas (à priori) un deal extraordinaire.
3/ Les dividendes ne sont pas spécialement stables
Selon les sources que j’ai pu trouver, les dividendes distribués par action jusqu’à présent ont été de :
- 687 euros en 2015
- 620 euros en 2016
- 650 euros en 2017
- 610 euros en 2018
Pas exactement une trajectoire ascendante pour une société qui se veut être une « cash cow » (une politique qui sera peut-être réajustée post introduction).

Comme vous le savez sans doute, un de mes critères clés pour envisager un investissement de long terme est une croissance stable et régulière des dividendes dans le temps, ce qui n’a pas été le cas ici jusqu’à présent.
Tout cela fait que de mon côté, l’opportunité d’investissement proposée par la FDJ ne me semble (dans les conditions actuelles), pas spécialement attractive.
Conclusion
J’espère avoir pu vous présenter quelques informations utiles sur les nouvelles introductions en bourse à travers cet article, et avoir pu vous donner quelques statistiques qui contrasteront très certainement avec l’enthousiasme et l’effervescence que la plupart des acteurs du secteur essaient usuellement de générer autour de ce genre d’évènement.
Ceci étant dit, cet article est rédigé dans la perspective d’un investissement de long terme (cas dans lequel la majorité des introductions délivrent des performances sous optimales, comme nous avons pu le voir ici).
En revanche, ceci ne nous dit rien sur les performances de ces titres à court et moyen terme (le facteur temps est donc une variable importante ici), et cette approche étant purement probabiliste, cela ne veut pas dire que vous perdrez forcement de l’argent si vous êtes déjà positionné sur la FDJ.
Il s’agit juste d’une ouverture sur le fait que, si vous êtes un investisseur de long terme, de meilleures alternatives existent pour vous sur les bourses mondiales aujourd’hui.
Le meilleur commentaire que j’ai lu à ce sujet
Dans toute cette effervescence justement, je crois que votre article est le plus documenté et objectif. Merci.
Merci,
Très bon article,
PhilippeTrade