Plus de 10 ans passés sur les marchés boursiers m’ont permis de tirer des leçons qui vont (à mon sens) bien au delà des simples gains financiers. Quand on y réfléchit, la bourse n’est que le reflet de la psychologie des milliers d’individus qui y participent chaque jour.
Même le monde académique a commencé à s’y intéresser récemment en s’écartant de ses modèles « classiques » pour s’orienter plutôt vers le domaine de la « finance comportementale » (comprendre simplement une économie qui intègre la psychologie humaine… et son irrationalité).
Dans cet article, je vous propose de revenir sur 5 leçons importantes que m’ont enseigné mes années sur les marchés, et qui vont (à mon sens) bien au delà de la bourse.
Table des matières
1/ Les gens surestiment leur capacité à prévoir le futur
La majorité des gens tendent à être très confiants dans leurs opinions sur des choses et des sujets qui sont par nature très complexes, et très incertains. Nous avons pu le constater plus que jamais au cours de ces dernières années, avec la crise que nous avons traversé.
Comme je le dis souvent : le meilleur moyen de voir à quel point vous (et moi) sommes mauvais sur notre capacité à prévoir ce qui va se passer, c’est de parier sur vos opinions et d’essayer d’en vivre. Pour la majorité des gens, cela se termine très mal, très rapidement.
La bourse est probablement le meilleur terrain de jeu pour cela, car vous pouvez y parier sur pratiquement tout (économie, produits, sociétés, matières premières, monnaies, pays, etc…).
En bourse il a été prouvé que même les meilleurs investisseurs/traders ont raison environ 50% du temps (guère mieux que le hasard). Leurs gains résident surtout dans le fait qu’ils prennent des paris asymétriques (ils gagnent beaucoup quand ils ont raison, et perdent peu quand ils ont tord).
Leur capacité à prévoir le futur, n’est souvent pas meilleure que quiconque (même les doctorants, et même ceux qui ont 180 de QI, et des algorithmes complexes).
Après plusieurs années passées dans le secteur, vous en viendrez à ne quasiment plus accorder aucune importance aux prédictions (souvent anxiogènes) que vous pourrez lire un peu partout. Car vous vous rappellerez chaque fois que la plupart des gens ont tord la plupart du temps.
2/ Ne sous estimez pas le consensus
Ce que j’appelle « consensus » ici, c’est l’opinion générale ou, dans une certaine mesure (si l’on peut appeler cela ainsi) « la sagesse de la foule« .
En résumé, il s’agit du concept qu’une opinion isolée a statistiquement plus de chances d’être fausse qu’une opinion agrégée (qui elle, vient par nature limiter les biais individuels).
Pour illustrer le concept : pensez à une foule qui chante en chœur lors d’un concert. Individuellement la plupart des gens chantent horriblement faux, mais quand un stade entier s’y met, les extrêmes ont tendance à s’annuler, et la note finale est proche de la note juste.
La même chose se produit en bourse.
Quand des milliers de gens confrontent leurs opinions sur la juste valeur d’une société ou d’un actif à l’instant T, il faut toujours assumer par défaut que le prix est proche de la valeur juste (c’est ce que l’on appelle en économie la théorie de « l’efficience des marchés« ).
Pourtant en bourse comme dans la vie, nous rencontrons souvent des gens qui pensent systématiquement que le consensus a tord, et qu’ils ont raison.
Nous vivons une époque où tout le monde se vante de « ne pas suivre le troupeau » ou d’être contrarien. Le problème, c’est que (comme le disait un ami investisseur) : dans un monde où tout le monde pense être contrarien, personne ne l’est vraiment.
Sous estimer la valeur de l’opinion du consensus est une grosse erreur en bourse, qui peut vite conduire au désastre.
Un bon moyen d’éviter de tomber dans ce piège est de suivre une sage citation de Charlie Munger :
Si vous pensez que vous avez raison et la foule tord, commencez par examiner l’argumentaire adverse point par point, et débattez avec des opinions opposées.
Les réseaux sociaux sont parfois une malédiction, mais ils peuvent aussi être une bénédiction pour cela. Postez le nom d’une action : vous aurez aussitôt 10 personnes qui viendront vous dire pourquoi vous avez tord de miser dessus.
Si après avoir examiné chacun de leurs arguments, aucun ne semble très pertinent, le dossier mérite sans doute d’être creusé. Souvent il vous apprendront des choses que vous n’aviez peut être pas vu au premier coup d’œil. Car nous sommes tous plus biaisés que nous ne le pensons.
3/ Vous pouvez savoir qu’une décision est mauvaise, et la prendre malgré tout
Mon analogie favorite ici est probablement celle du poker (ou de n’importe quel jeu de cartes compétitif impliquant une part de hasard). Même les joueurs professionnels jouent parfois des mains qu’ils savent mauvaises.
Intellectuellement, ils savent que ce n’est pas une bonne décision. Mais sur le moment, ils ne peuvent pas s’empêcher de jouer quand même (le plus souvent après avoir été « usés » psychologiquement par une série perdante, ou par de longues heures de jeu).
De même en bourse, vous pouvez tomber sur des actions qui ne respectent pas vos critères (valorisation, croissance ou qualité), le savoir… et en acheter quand même (sur les promesses d’une belle histoire, ou parce qu’une petite voix vous dit que « cette fois c’est différent« ).
Un exemple concret : beaucoup de gens deviennent totalement aveugles aux faibles probabilités de réussite d’un pari du moment que quelqu’un leur promet un x100 ou un x1000 rapide. La décision prise n’est pas rationnelle. C’est ce qu’on appelle un « trade ticket de loto« .
Ils ne font pas un achat basé sur un processus intelligent de minimisation des risques et d’évaluation des probabilités. Ils prennent leur décision parce qu’ils ont déjà perdu sur une autre position, et ont besoin de « se refaire », parce qu’ils ont besoin de 1000 euros pour payer une facture, ou parce qu’ils veulent quitter leur job rapidement.
C’est pour cela que des investisseurs comme Warren Buffett ont déclaré que « l’investissement n’est pas un jeu ou celui qui a 150 de QI bat celui qui a 100 de QI« . Il y a beaucoup d’autres facteurs à considérer et le principal est votre niveau de discipline émotionnel.
Continuer à faire objectivement les bons choix, même si, pour des raisons mystérieuses, certaines parties de vous essaient de vous en empêcher est une part très importante du processus.
4/ Surestimer le court terme, sous estimer le long terme
Nous avons tous un ami (/amie) qui décide chaque année de se remettre au sport 2 mois avant l’été. Parfois 6 jours par semaine, jusqu’à l’obsession, dans l’espoir de « se refaire un physique pour les vacances« . Pourtant, tous les ans, c’est la même chose.
Peu importe à quel point il travaille dur sur ces deux mois, il n’arrive simplement jamais aux résultats de quelqu’un qui s’entretient depuis 10 ans, et reste discipliné (en fournissant probablement le tiers de ses efforts, mais en ayant un plan d’action soutenable dans la durée).
La même chose est vraie en bourse lorsqu’une personne commence le daytrading en espérant générer les gains de 10 ans d’investissement en 3 mois.
Les gens perdent souvent plus de temps à chercher des raccourcis qui n’existent pas plutôt qu’à retrousser leurs manches et à s’y mettre, même avec une petite action simple qui serait un premier pas vers leur objectif.
Ce principe est vrai dans la plupart des disciplines. Cependant il a aussi un avantage.
Si la plupart des gens surestiment ce qu’ils peuvent accomplir en 3 mois, ils sous estiment aussi ce qu’ils peuvent accomplir en 10 ans (sans nécessairement fournir d’énormes efforts).
Les petits efforts réguliers paient souvent plus que les sprints dans tous les domaines (un principe directement illustré en bourse dans l’article « quand la tortue bat le lièvre« ).
Et l’avantage, c’est que vous pouvez arriver à destination sans être complètement « cramé » par les rythmes fous ou les niveaux de stress élevés que nous imposent certains secteurs… et y arriver paradoxalement, le plus souvent, avec de meilleurs résultats.
5/ Nous avons la mémoire courte
Hors bourse, nous avons pu voir un exemple récent de ce problème avec la pandémie.
Nous avons fait face au phénomène comme si c’était la première pandémie à laquelle l’humanité s’était retrouvée confrontée. Pourtant, si vous lisez les livres d’histoire, cela est déjà arrivé, et dans des proportions bien pires qu’aujourd’hui (peste antonine, peste noire, grippe espagnole, etc…).
Il semble que peu de leçons aient été tirées de ces évènements passés, et vous pouvez être sûr que d’ici quelques années, peu de leçons seront retenues de ceux d’aujourd’hui. Cette tendance générale au court termisme (et à oublier les leçons de l’histoire) est vraie aussi en bourse.
Les gens font les mêmes erreurs aujourd’hui avec les cryptomonnaies et les NFTs que dans les années 2000 avec la bulle internet. Demain, ils referont probablement les mêmes erreurs sur les prochaines grosses tendances du moment.
Si vous lisez quelques livres sur l’histoire de la bourse (je recommande en particulier « Mémoires d’un spéculateur » mais aussi quelques livres non boursier), vous verrez que si l’histoire ne se répète pas tout à fait, elle rime très certainement.
Environnement de hausse des taux d’intérêt? Déjà arrivé. Inflation? Déjà arrivé. Déflation? Déjà arrivé. Vous n’aurez peut être pas en main toutes les pièces du puzzle, mais vous pourrez déjà éviter les erreurs qui avaient été faites à l’époque, ce qui est un atout considérable.
Et vous gagnerez probablement un gros avantage sur le reste des investisseurs (même professionnels), car en règle générale, tout le monde a la mémoire courte.
Conclusion
Au delà de l’aspect financier, les marchés boursiers sont riches d’enseignements, et les leçons que nous pouvons en tirer peuvent s’étendre, à mon sens, à beaucoup d’autres disciplines.
Apprendre à prendre de bonnes décisions boursières peut aussi vous aider à prendre de meilleures décisions dans bien d’autres domaines (personnels comme professionnels).
Au fond, bien investir, c’est avant tout essayer de prendre de meilleures décisions chaque jour. Ou comme le dit Charlie Munger « essayer d’éviter d’être stupide avec consistance, plutôt qu’essayer d’être très intelligent« .
Youngstocker says
Tu as écrit des centaines d’articles, mais pour moi celui-ci est l’un des plus pertinents. J’ai découvert le monde de la bourse il y a quelques années, et j’avoue que je n’imaginais pas en apprendre (grâce à tes articles et à des livres sur la finance comportementale, notamment) autant sur la psychologie de l’être humain que sur l’investissement même.
Sans rationalité et discipline émotionnelle, on commet une foultitude d’erreurs. Et comme l’écrasante majorité des êtres humains n’ont pas ces atouts (et ce n’est pas prêt de changer !), j’ai le sentiment qu’il y aura toujours, en bourse, une minorité de gagnants et une majorité de perdants.
Dans la liste des leçons, on pourrait en rajouter une sixième : vous savez qu’une décision est (statistiquement) bonne ou opportune, mais vous ne la prenez pas ! Je ne me remets tjrs pas des choix d’investissement que je n’ai pas faits lors du krach de mars 2020, alors que je savais pertinemment ce qu’il fallait faire :s.
Pierre says
Merci pour le retour positif 😉 . En effet, beaucoup de principes semblent parfois simples sur le papier, mais sont beaucoup plus compliqués à appliquer « en temps réel ».
C’est pour cela que c’est usuellement mieux de commencer avec un (relativement) petit compte et de le faire grossir peu à peu plutôt que de commencer directement en posant une grosse somme sans être bien préparé (même sur des produits aussi simples que des trackers). Les erreurs coûtent moins cher.
Pour le point 6 évoqué, cela rejoint à mon sens (en miroir) le point 3 de l’article : savoir statistiquement quelle est la bonne décision, mais ne pas agir car une petite voix nous dit que « cette fois c’est différent ».
Cela arrive même aux professionnel et il peut parfois être très difficile de l’ignorer (surtout lorsque nous sommes près de niveaux extrêmes de marché, à la hausse ou à la baisse, ou que les médias s’en donnent à cœur joie sur les gros titres catastrophistes (c.f point 1) ) ; Cdt
Gaël says
Bonjour
« Les gens surestiment leur capacité à prévoir le futur. ».
C’est malheureusement faux en ce qui concerne le réchauffement climatique dont les causes sont le déclin des stocks d’énergies extraites et transformées à partir de fossiles et la démographie humaine excessive.