Ce début 2021 a été agité sur les bourses avec des cas extrêmes de spéculation : l’affaire Gamestop, Tesla, le retour en force du marché des cryptomonnaies, la médiatisation à outrance de wallstreetbets…
Avec l’omniprésence des réseaux sociaux, la baisse des frais de trading à quasiment zéro (pour certains courtiers), et l’ennui du confinement : il n’a jamais été aussi difficile de résister à la tentation de la spéculation.
Cela crée un environnement boursier dangereux pour les nouveaux comme pour certains anciens investisseurs. Dans cet article, nous allons revenir sur quelques notions mathématiques de base qui pourront sauver votre compte de bourse dans ce contexte difficile.
Table of Contents
1/ L’ère du court termisme
Au cours d’une discussion avec Jeff Bezos, Bryan Chesky (le PDG d’Air Bnb) lui a demandé quel était le meilleur conseil financier qu’il ait reçu de la part de Warren Buffett.
Bezos a répondu : « Un jour j’ai dis à Warren : Tes principes d’investissement sont tellement simples. Tu es deuxième homme le plus riche du monde, et ce que tu fais semble si simple. Pourquoi est-ce que tout le monde ne te copie pas? »
Buffett a répondu « Parce que personne ne veut devenir riche lentement« .
Ce simple échange révèle un problème qui entrave la réussite de beaucoup d’investisseurs aujourd’hui. Beaucoup ne réalisent pas à quel point leur volonté de s’enrichir vite devient un obstacle au fait de s’enrichir tout court.
Et je pense qu’aujourd’hui plus que jamais : le problème est aggravé par le contexte général dans lequel nous évoluons.
La réalité alternative des réseaux sociaux (#tothemoon)
Avec l’omniprésence du web et des réseaux sociaux, nous vivons dans un monde qui est plus que jamais centré sur la dernière tendance du moment.
Depuis début 2021 (moins de 8 semaines), nous avons déjà eu :
- la Bitcoin mania (le retour)
- la Gamestop mania
- la Tesla mania
- la « Potstocks Mania »…
Il semble que chaque semaine ait droit à sa propre histoire et à sa propre bulle (et avec elle, la mise en lumière des quelques personnes qui se sont enrichies avec) :
Être bombardé par ce genre d’intitulé jour après jour ne favorise pas les décisions d’investissements judicieuses.
Pire, cela contribue a créer peu à peu une vision déformée de la réalité.
A force de concentrer toute notre attention sur 0.1% de ce qui se produit chaque semaine, on finit par se mettre à chasser l’improbable plutôt qu’à chasser ce qui fonctionne.
(Toujours pour citer Buffett « Rien n’entrave plus le jugement que la perspective de larges sommes d’argent gagnées sans rien faire« ).
L’âge d’or des « YOLO trades »
L’acronyme « YOLO » (pour « You Only Live Once« ) est souvent utilisé sur les réseaux pour définir un trade associé a une absence totale de risk management.
Keith Gill, le Redditeur au bandana devenu millionnaire grâce à Gamestop (évoqué dans le point précédent) est aussi connu sur les réseaux sociaux pour cette citation :
Aujourd’hui l’idée des trades « tickets de loto » est « coolifiée », et avoir un bon risk management est souvent tourné en ridicule (vous serez souvent traité de « main faible » ou de « paper hands » sur les réseaux si vous osez dire publiquement que vous avez coupé une position).
Être cool sur les réseaux revient donc à appliquer la meilleure recette pour exploser votre compte de bourse (un peu comme être cool au collège revenait à appliquer la meilleure recette possible pour rater votre vie : ne pas travailler, être arrogant, minimiser ses chances d’avoir un avenir décent #yolo).
Dans le point suivant, rappelons donc pourquoi le « Yolo trading » n’est pas cool (pas cool du tout). Le tout en utilisant la Kryptonite des réseaux sociaux : les mathématiques de base.
2/ Les mathématiques cruelles de la spéculation
Supposons que vous ayez perdu 20% de votre compte de bourse suite à une mauvaise spéculation. Combien avez-vous besoin de gagner pour « vous refaire« ?
Si vous avez tout de suite pensé « 20%« , vous faites une erreur que font la plupart des gens.
Si vous perdez 20% d’un compte de bourse de 100 000 euros (par exemple), vous n’avez plus maintenant que 80 000 euros sur votre compte. Il ne vous faudra donc pas réaliser 20%, mais 25% de gains simplement pour revenir à zéro sur vos pertes et profits.
Plus grande est votre perte : plus ce phénomène s’aggrave.
Pourquoi la règle numéro 1 en bourse est d’éviter de perdre de l’argent
Voici un petit tableau que j’apprécie particulièrement qui résume combien il vous faudra pour « vous refaire« en fonction du pourcentage que vous avez perdu sur votre compte :
- Si vous perdez 50% de votre compte, il vous faut +100% de gains juste pour revenir à 0.
- Si vous perdez 80% de votre compte, il vous faudra des gains de +400%.
- Si vous perdez 95%, il vous faudra des gains de +1900%.
Autant dire qu’au delà d’un certain seuil de pertes : il faut oublier l’idée de revoir un jour la somme initiale, et accepter le fait que l’argent est à jamais perdu.
C’est pour cela que tous les bons investisseurs (et les bons traders) paient une attention particulière à la gestion des risques, et se concentrent en priorité sur combien ils peuvent perdre sur chaque investissement (/trade) plutôt que sur combien ils peuvent gagner.
(Ou pour citer Ed Seykota dans « les magiciens des marchés » : « Il y a des traders vieux, et il y a des traders audacieux. Mais il n’y a pas de vieux traders audacieux. »)
3/ Comment la volatilité tue vos gains
Si de nombreux investisseurs réalisent l’impact de gros mouvements de volatilité sur votre compte, ils sous estiment souvent l’impact que ce phénomène peut avoir sur de longues périodes.
Pour illustrer cela, prenons l’exemple de deux portefeuilles :
- Le « portefeuille investisseur » qui contient des actions défensives
- Le « portefeuille #YOLO » qui prend de gros paris chaque jour
Le premier varie de +2 puis -2% par jour pendant 20 jours. Le second varie de +20 puis -20% par jour pendant 20 jours. Les deux varient donc d’un total en % de zéro sur la période.
Chaque portefeuille commence ici avec 100 euros.
Combien pensez vous que soit la valeur de ces deux portefeuilles au jour 20?
Avez-vous instinctivement pensé « 100 euros« ? (puisque 100 euros + 0% = 100 euros?)
Faux. Voici ce que donnent ces deux portefeuilles boursiers modélisés sur un graphique (grâce au meilleur allié du financier moderne : Excel).
High vol vs Low vol : Comment perdre de l’argent sans rien faire
Sur le graphique suivant j’ai simulé 2 portefeuilles :
- Le portefeuille « Low vol » varie de +2 puis -2%/jour pendant 20 jours
- Le portefeuille « High vol » varie de +20% puis -20%/jour pendant 20 jours)
Ce graphique modélise en fait un phénomène que nous appelons le « volatility decay » en anglais (ou « la dépréciation liée au jeu des pourcentages » en français, mais c’est plus long et cela sonne nettement moins bien). Concrètement :
- Si vos investissements défensifs connaissent une période latérale de « passage à vide », ce n’est pas très grave (la volatilité moyenne d’un indice boursier par jour est inférieure à 2%).
- Si votre compte de day trader en levier connait un passage à vide : vous pouvez perdre de l’argent même avec 50% de trades gagnants (et j’exclus ici l’impact négatif des frais dans l’équation).
Une fois que vous avez réalisé l’importance de ce phénomène : vous devez réaliser qu’il joue à tous les niveaux du processus d’investissement (et plus important à tous les niveaux du processus de spéculation). C’est une sorte d’anti intérêts composés.
Se retrouver « sous l’eau » par rapport à votre mise de départ est à la fois inconfortable psychologiquement, et rend la remontée de plus en plus difficile. Les choses sont généralement plus faciles (et bien moins désagréables) si vous réduisez la volatilité de votre compte.
Et même si vous avez été un spéculateur chanceux : à un point ou a un autre de votre carrière, vous devrez forcement vous concentrer sur la gestion des risques si vous voulez conserver vos gains et continuer de les faire fructifier. Personne ne prend des séries de trade de +100% à l’infini.
Conclusion
Depuis début 2021, nous évoluons dans un environnement général qui a tendance à récompenser les mauvaises décisions, et à punir la prudence. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. En fait cela arrive à chaque sommet de marché majeur.
La question en bourse n’est pas de savoir combien vous pouvez gagner sur un trade ou deux. La question est de savoir combien vous pouvez garder dans vos poches quand la musique s’arrête.
Ne vous laissez par avoir par le court termisme, et par la fausse image du monde que donnent les réseaux sociaux. Pour conclure cet article sur une dernière citation de Buffett : « c’est quand la mer se retire que l’on voit ceux qui se baignaient nus« .
Youngstocker says
Très bel article, qui montre bien l’importance de gérer le risque quand on investit.
J’investis depuis quelques années maintenant (en grande partie grâce à ce site, merci à toi Pierre), et il m’arrive souvent de voir certaines valeurs grimper de 100%, 200%, et de me dire : si j’avais investis là-dessus… Mais je sais très bien que ça m’aurait fait dévier de mon plan et de mes principes d’investissement raisonnables et que ça aurait été une mauvaise décision.
La citation de Buffet que vous faites en début d’article est véridique. Et le plus dur quand on investit, c’est vraiment de coller à son plan et de ne pas se laisser tenter par des trades hasardeux. Le rendement escompté doit toujours être ajusté au risque, et ça beaucoup n’en ont pas conscience ! Je pense que seul un faible nombre de personnes ont la psychologie nécessaire pour être de bons investisseurs, ce qui fait qu’il y aura tjrs peu de gagnants et beaucoup de perdants.
Pierre says
Bonjour Youngstocker (et merci pour le retour positif),
En effet, comme le disait Peter Lynch « Tout le monde a le cerveau qu’il faut pour pouvoir investir en bourse. Mais pas tout le monde n’a l’estomac. » 😉 .
C’est pour cela aussi que l’on dit souvent qu’un investisseur aura de meilleurs résultats avec une stratégie moyenne qu’il peut suivre à la lettre plutôt qu’avec une stratégie « parfaite » qu’il ne suivra plus au bout de 3 mois.
Il faut à la fois bien connaitre le marché, et bien se connaitre soi même.